Après douze réunions et une quasi réécriture du texte initial, le protocole d’accord sur l’Égalité professionnelle Femmes/Hommes au ministère de la Culture est soumis à signature lors du Comité technique ministériel du 22 novembre. Il était plus que temps, cinq ans après la signature du protocole de la Fonction publique et le passage de cinq ministres rue de Valois…
Au ministère de la Culture, la ségrégation horizontale est bien présente avec des femmes largement minoritaires dans les filières techniques et surreprésentées dans les filières administratives. Quant au plafond de verre, il reste difficile à briser. Concernant la part des femmes aux postes de directions, c’est la dégringolade : avec 37% de femmes au 1er janvier 2017 contre 54% en 2014. La situation dans les Établissements publics et les services à compétences nationales est toujours aussi lamentable depuis 4 ans avec tout juste un tiers de présidentes. Et dans la composition des jurys de concours et de recrutements, a fortiori leurs présidences, les femmes sont très largement sous-représentées à mesure que l’on monte dans la ligne hiérarchique1. Malgré une majorité de femmes (54% des effectifs sur budget de l’État), au ministère de la Culture, les hommes dirigent et se recrutent !
Comme partout, les femmes sont également moins bien payées que les hommes. Certes la progression indiciaire est liée à l’ancienneté (et les hommes du ministère sont en moyenne plus âgés), mais ne considérer la différence de rémunération entre hommes et femmes qu’à travers cette donnée, c’est faire fi des promotions « au choix » et des conséquences des situations d’interruption (congés parentaux, temps partiels) qui restent l’injuste apanage des femmes. Quant à l’individualisation des rémunérations et les primes, elles participent très largement de cet écart de rémunération2.
Un protocole pour une égalité réelle ?
On ne peut rien prédire mais ce protocole est un ensemble d’engagements pris par le ministre pour faire avancer l’égalité Femmes/Hommes au sein du ministère et dans toutes ses composantes. La traduction annoncée de ce texte en circulaire en fera un document opposable si l’administration ne respecte pas ses engagements.
Ce texte sera aussi un outil utilisé par les militant-es de SUD Culture afin de porter les exigences d’égalité dans chacune des entités du ministère, notamment parce que ce protocole devra être décliné au niveau de chaque CT compétent avant fin 2019. De grosses réunions en perspectives mais, espérons-le, de nouvelles avancées en terme de droits pour les agent-es.
Bien sûr, de nombreuses inégalités ne peuvent être corrigées que par le gouvernement au niveau de la Fonction publique dans son ensemble : rattrapage indiciaire des inégalités salariales, revalorisation des allocations du congé parental, allongement du congé paternité et d’accueil de l’enfant, revalorisation des pensions de retraites…
Par ailleurs, les inégalités entre les femmes et les hommes sont systémiques, elles sont pour partie inscrites dans l’inconscient de chacun-e ; l’égalité réelle ne se fera qu’avec une remise en cause de la domination patriarcale. Alors prenons ce texte, avec ses qualités et ses défauts, pour ce qu’il est : un petit pavé dans la très grande mare du patriarcat.
Pourquoi SUD Culture sera signataire ?
Il est certain que ce protocole n’est pas parfait, que pour une grande partie le ministère est dans l’auto-satisfecit ou qu’il s’engage…à appliquer la loi et les textes en vigueur ! Mais, outre le fait qu’il n’est pas inutile que l’administration s’engage à respecter la législation (ce qu’elle ne fait pas toujours, a fortiori lorsqu’il s’agit des droits des femmes), nous gagnons aussi de nouveaux droits pour les agent-es qui, pour beaucoup, ont été portés par SUD Culture au sein de l’intersyndicale et lors des réunions de négociation.
A priori, certaines organisations du ministère hésitent à signer ou ne seront pas signataires (mais elles peuvent encore changer d’avis) parce que le texte est incomplet, le plan d’action pas assez détaillé, parce qu’elles pensent que le ministère n’est pas en capacité de mettre en œuvre ce protocole…et surement d’autres raisons qu’elles développeront (ou non). Si ce texte est signé, il appartiendra alors aux organisations syndicales du ministère de le faire vivre, ce sera notre responsabilité.
Égalité entre les femmes et les hommes dans les rémunérations et les parcours professionnels (axe 2)
« Spontanément », Françoise Nyssen a annoncé dans la presse le déblocage de 500 000 euros entre 2018 et 2022 pour corriger les écarts de rémunérations. Cette annonce a été intégrée au protocole. Même si l’on sait pas encore précisément comment cela va se concrétiser, on ne peut que saluer l’initiative.
Le montant CIA (complément indemnitaire annuel qui, selon le dogme libéral, permet de « reconnaître spécifiquement l’engagement professionnel et la manière de servir des agents ») pour les titulaires et la part variable des contractuel-les en congés maternité seront maintenus à un niveau au moins égal à ce qui leur aura été versé l’année précédente.
La formation à l’égalité professionnelle devra se généraliser pour tout-es les agent-es et pas seulement l’encadrement.
Articulation vie professionnelle / vie personnelle (axe 3)
Si la maternité ne doit pas être considérée comme le seul facteur de discrimination, il n’est reste pas moins qu’elle pèse fortement sur l’évolution de carrière des femmes et occasionne de profondes discriminations notamment en matière de promotion, de rémunération, de retraite. Les femmes assument une grande partie de l’éducation des enfants ; ce sont elles qui le plus souvent posent des jours « garde d’enfant », prennent des temps partiels, suspendent leur carrière au profit d’un congé parental pour faire face au manque de place en crèche (ceci est en autre lié au fait qu’elles sont moins payées que leur conjoint et qu’il peut s’avérer préférable de privilégier la perte du salaire le moins élevé)… Il faut également pouvoir impliquer les conjoint-es dans l’éducation des enfants.
Afin de préparer au mieux le retour de l’agent-e en congés maternité ou parental, SUD Culture a demandé et obtenu que :
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le suivi des carrières soit assuré, notamment dans le cadre de réorganisations de services ;
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les primes soient maintenues en se basant sur le montant moyen des primes versées (voir plus haut) ;
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le retour sur le poste soit garanti après les congés maternité. Pour les congés parentaux, il n’a pas été possible d’avoir mieux qu’une réintégration de plein droit dans le corps d’origine et, sauf impossibilité, dans la même résidence administrative et les mêmes fonctions.
Pour favoriser la coparentalité, nous avions demandé que le ou la second-e parent-e bénéficie d’autorisations spéciales d’absence quelle que soit la nature de l’union, le genre, qu’il soit cohabitant ou non et indépendamment du lien de filiation avec l’enfant à naître, afin d’accompagner la mère à l’ensemble des examens prénataux obligatoires prévues par la sécurité sociale. Nous n’avons obtenu qu’un jour supplémentaire passant ainsi de 3 à 4 jours. Demi-victoire tout de même, car en la matière, le ministère est en avance : la Fonction publique ne prévoirait, elle, que 3 jours.
L’arrivée d’un nouveau-né ayant indéniablement des incidences sur l’organisation des parents et étant également générateur de fatigue – impactant le travail –, nous avions proposé une autorisation d’absence d’une heure, accordable aux deux parents la première année de l’enfant. La conseillère sociale d’alors et le Secrétaire général adjoint nous avaient rétorqués que cette mesure serait trop couteuse pour le ministère, sans préciser pour autant le nombre de cas que cela représentait chaque année. Nous continuerons à porter cette revendication et attendons de l’administration des éléments chiffrés justifiant son refus d’une avancée sociale certes importante, mais numérairement marginale.
En matière de mode de garde, nous ne pouvons-nous satisfaire du seul recourt au CESU, pis-aller pour pallier une politique défaillante en matière de services public de la petite enfance. Nous maintenons notre demande au ministère de solutions de gardes collectives prenant également en compte les agent-es ayant des horaires atypiques (nocturnes, week-end, jours fériés, travail de nuit…). Et le travail se poursuit puisque le ministère s’engage à en « étudier la faisabilité ». Il faut donc aussi que nous portions cette revendication auprès de la Direction Générale de l’Administration et de la Fonction Publique (DGAFP).
Sur la prévention des violences sexistes et sexuelles (axe 4)
Malgré un important arsenal juridique, les violences sexistes et sexuelles perdurent et touchent en premier lieu les femmes. En 2016, 123 femmes (1 tous les 3 jours) ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint3, 52 400 femmes victimes de viol et 553 000 victimes d’agressions sexuelles4… 1 femme sur 5 a été, est ou sera victime de harcèlement sexuel au travail.
Il était temps que le ministère s’empare de ce sujet. Sur cet axe, SUD Culture a été force de proposition et ces revendications ont été portées en intersyndicale.
Outre tous les rappels aux textes (c’est tout de même la base !), nous avons obtenu :
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la mise en place d’une méthodologie de signalement des violences et la déclinaison des fiches « reflex » produites par la DGAFP ;
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l’inscription de ces violences dans les documents uniques d’évaluation des risques professionnels (DUERP) qui servent à élaborer les plans de prévention des risques ;
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plusieurs actions, dont certaines immédiates, pour protéger un-e agent-e victime de violences dans le cadre de ses missions : la suspension à titre conservatoire de l’auteur des violences ; la mutation ou le changement de poste, en accord avec la victime, pour qu’elle ne soit plus confrontée à son agresseur ; l’aménagement du cycle de travail ; la prise en compte individualisée de la situation de la victime en cas d’absences répétées ou d’horaires non respectés ; le dépôt de plainte systématique du ministère contre l’auteur des violences, indépendamment des recours de la victime elle-même ; l’ouverture de procédures disciplinaires indépendamment d’une plainte au pénale.
Pour prévenir et prendre en charge les violences conjugales et intra-familiales détectées sur le lieu de travail, SUD Culture a obtenu un engagement à mettre en place une méthodologie de signalement et des mesures permettant :
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l’accès à un hébergement d’urgence ou à un relogement adapté (parc immobilier du ministère ou d’un établissement public, logements d’urgence réservés);
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« des mesures concernant le poste occupé par l’agent, les conditions de travail et l’organisation du travail ». Une tournure de phrase un peu techno pour ne pas avoir à écrire ce que nous demandions : mutation ou changement de poste avec accord de la victime ; aménagement du cycle de travail ; prise en compte individualisée en cas d’absences répétées ou d’horaires non respectés.
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l’éviction de l’agresseur s’il travaille sur le même site que la victime « dans le cadre des dispositions règlementaires et législatives ».
Les mesures pour prévenir et prendre en charge les violences sexistes et sexuelles faites aux étudiant-es des écoles d’enseignements supérieures ont fait les frais de l’élaboration, en parallèle du protocole et sans les organisations syndicales, d’une « Charte Égalité » signée par les écoles avec des déclinaisons locales possibles. Nous ne pouvons nous contenter de textes propres à chaque établissement : il faut un document unique garantissant une égalité de traitement pour toutes et tous, ainsi que des procédures communes notamment en ce qui concerne le signalement d’agressions sexuelles et de comportements sexistes à l’encontre d’étudiant-es.
Nous avons réussi à inscrire dans le plan d’action :
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la mise en place d’une procédure d’alerte pour les étudiantes ;
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la déclinaison pour les écoles du ministère du vade-mecum pour l’enseignement supérieur du CLASCHES et de l’ANEF.
Pour tout cela, parce que nous pensons que ce protocole peut favoriser l’égalité Femmes/Hommes au ministère de la Culture, SUD Culture Solidaires sera signataire. Ce n’est pas un blanc-seing. Nous resterons vigilant-es au respect de cet accord et à son application à l’ensemble du ministère.
Et quoiqu’il advienne, c’est bien la première fois que les femmes du ministère de la Culture auront un texte de référence permettant non seulement de faire valoir leurs droits (anciens et nouveaux), mais aussi d’en acquérir d’autres !
Petite chronologie relative
- 1791 Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne par Olympe de Gouge. La Révolution française n’ayant pas été faites pour les femmes (et pourtant elles y ont participé), seule la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 est restée. Olympe, quant à elle, est guillotinée le 3 novembre 1793.
- […]
- 2013 Protocole d’accord sur l’Égalité professionnelle Femmes/Hommes, dans la fonction publique, signé par l’ensemble des organisations syndicales représentatives. Cet accord a vocation à être décliné et appliqué par l’ensemble des employeurs publics. À la Culture, rien. Et pourtant SUD a réclamé sa déclinaison à chaque fois que c’était possible.
- 2016-2017 Travaux en vue de préparer la double labellisation « Diversité » et « Égalité » du ministère. D’une transposition du protocole, il n’est pas question.
- 2017 Ouverture d’une négociation pour un Protocole d’accord sur l’Égalité professionnelle Femmes/Hommes au ministère de la Culture. Et oui, c’est l’un des critères pour obtenir le label « Égalité ». On ne sait pas trop si ces labels marchent, mais quatre ans après la version Fonction publique, le ministère de la Culture s’attèle à la tache…et les organisations syndicales aussi parce qu’il y a du boulot.
- 22 novembre 2018 (normalement) Signature du protocole ?
SUD Culture Solidaires, le 21 novembre 2018
1 Observatoire de l’Égalité entre femmes et hommes dans la culture et la communication 2017
2 Rapport de situation comparée 2017.
3 « Étude nationale sur les morts violentes au sein du couple. Année 2016 », ministère de l’Intérieur, délégation aux victimes.
4 Enquête « VIRAGE », INED, 2016