Déclaration de SUD Culture Louvre au conseil d’administration extraordinaire

Mesdames et messieurs les membres du Conseil d’Administration,

Nous souhaitons en premier lieu saluer les différentes équipes en charge de la surveillance tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du palais qui ont, le 19 octobre, fait la preuve de leur réactivité et de leur professionnalisme en permettant non seulement de mettre le public à l’abri mais aussi de préserver les éléments de preuves menant à l’arrestation des auteurs du vol auquel le monde entier a assisté.

Nous les saluons d’autant plus que ces équipes ont été affaiblies, maltraitées et ignorées par l’établissement depuis bien trop longtemps maintenant. Si les failles en matière de sûreté et de sécurité sont désormais connues de tous, elles démontrent que la direction de l’accueil et de la surveillance a réussi à protéger le palais, ses collections et leur public durant des années malgré les entraves quotidiennes faites à l’exercice de ses missions.

Les personnels du Louvre dans leur ensemble sont meurtris par le vol du 19 octobre. D’autant plus que cette catastrophe intervient dans un contexte où la communauté de travail était déjà en grande souffrance, et les signes d’alerte bien connus en interne : le dernier rapport social unique fait apparaître une explosion du nombre de jours de grève avec une hausse de 626 % en une année, et les consultations auprès de la psychologue du travail ont augmenté de 400 % en deux ans, particulièrement chez les cadres. En 2024, une femme cadre sur cinq avait besoin d’un appui psychologique pour pouvoir travailler dans ces murs.

Ce contexte interne est à prendre en compte dans les décisions à venir : nous sommes un collectif de travail abîmé à plus d’un titre.

Nous n’oublions toutefois pas les problématiques systémiques qui ont conduit à une si grande fragilité du Louvre, et, finalement, au désastre.

Car le 19 octobre, c’est bien le modèle économique de la sphère muséale qui a fait faillite.

A ce titre, les tutelles comme la direction du Louvre endossent une grave part de responsabilité.

Les tutelles qui, à force de réduire leur part de financement de l’établissement (aujourd’hui seulement un tiers du budget provient de l’État), ont conduit à une course éperdue vers le financement privé, plus attiré par le bling bling des inaugurations ou autre évènement festif que par la remise en état de nos équipements.

Dans cette recherche effrénée de financement (d ‘entreprise ou de quelques uns qualifiés de VIP), la direction a non seulement repoussé les travaux indispensables, mais aussi progressivement court-circuité toutes nos procédures internes de sûreté.

Aujourd’hui au Louvre, l’anormal est devenu l’habituel, et les passes droits conduisent à ouvrir grand nos portes à des inconnus, y compris en musée fermé.

Le sous-dimensionnement des équipements de sûreté et de sécurité incombe à des arbitrages de la direction générale, validés en ces lieux. Peut-être – nous l’espérons – une partie des membres du CA n’en avait pas conscience. SUD Culture vous avait pourtant alerté·es.

Nous espérons qu’à l’avenir les représentants du personnel ne seront plus les seuls à porter la nécessité absolument prioritaire de remplir notre cœur de mission : préserver et transmettre un patrimoine universel.

Outre les arbitrages budgétaires aberrants et la non-observance des consignes de sûreté les plus simples, nous tenons également à vous alerter quant aux choix néfastes en matière d’emploi, qui ont conduit la filière d’expertise en sécurité à être sabrée d’un quart de ses effectifs au cours de la dernière décennie au sein du ministère de la Culture.

Le Louvre a évidemment pris sa part : la suppression de 193 équivalent temps plein à la direction de la surveillance ne peut être considérée sans conséquences. N’en déplaise aux chiffres tronqués annoncés par la direction du Louvre, c’est bien la direction de la surveillance qui a absorbé la totalité des suppressions de postes de la dernière décennie, et a encore vu son plafond d’emploi baissé pour redéployer ses emplois vers d’autres directions. 88 % de l’emploi statutaire détruit au Louvre depuis 2019 relève de la seule filière accueil et surveillance.

La présidente de l’établissement a fait part à la représentation nationale de son effarement lors de son arrivée au Louvre il y a quatre ans.

Permettez-nous de vous faire part de notre propre effarement en voyant que, face à cette situation, la priorisation a été :

  • de financer la création d’un nouveau département ;
  • de se séparer de l’ensemble des cadres ayant compétence et connaissance en matière de travaux urgents à réaliser ;
  • de dépenser des millions d’euros pour détruire tout ce qui avait été construit par les équipes du Louvre dès lors que ces projets étaient par trop associés au nom du précédent président ;
  • de recruter des conseillers pour tout, sauf pour la sécurité et la sûreté…
  • de ne même pas intégrer le risque Vol dans le projet de contrat d’objectif et de performance 2025-2029.

Nous sommes effarés de cet effarement dont aucune conséquence n’a été tirée.

A se couper des personnels et de la réalité de leur exercice professionnel, la direction, sans contrôle de la tutelle, a fait valoir une « vision » plaquée sur le Louvre, extérieure à lui et incomprise de ses travailleurs.

Le Louvre et ses huit siècles méritent mieux que cela.

Car s’il est une idée, il est aussi une matérialité que les générations qui se sont succédées ont su prendre en compte.

Aussi nous le rappelons avec force et espérons être enfin entendus : l’heure n’est pas à la création d’une nouvelle entrée ou à l’installation de la Joconde et d’œuvres prêtées en zone inondable. Le tout programmé selon un budget hasardeux.

Nous demandons l’abandon du mirage et de la gabegie du Louvre Nouvelle Renaissance 2031, pour   enfin lancer un plan Louvre Survivance 2026.

Mais cela ne pourra se faire sans une action déterminée, que ce soit en terme financier ou d’emploi, adossé à un contrôle renforcé.

Car il est plus que temps que les budgets soient fléchés correctement, que les emplois de la surveillance soient rehaussés à hauteur du besoin et cessent d’être détruits au profit d’activités autres.

Il est temps aussi de permettre à l’ensemble des équipes de l’établissement de travailler correctement, sereinement, sans surcharge de travail, injonction contradictoire ou conflit éthique.

Mesdames et messieurs les membres du Conseil d’administration, nous espérons que cette fois vous nous entendrez. Le Louvre en a besoin, et sa communauté de travail aussi.

SUD Culture Solidaires section Louvre,
Paris, 7 novembre 2025

image_pdfTélécharger en PDFimage_printImprimer