Plus prosaïquement, c’est nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
Ainsi, le ministre et son directeur de cabinet se relaient-ils pour expliquer au bon peuple, aux représentants de la nation comme aux représentants syndicaux que tout va bien, Madame la marquise, tout va très bien… le budget est paraît-il en hausse – ce dont doute même le quotidien du soir de l’ « establishment » qui titre prudemment, dans son édition du 29 septembre : «3,2 milliards d’euros pour la culture en 2007. Un budget en
hausse de 7,8% selon le ministère ». Le Monde ne nous avait pas habitué à de telles précautions pour tout ce
qui touche aux chiffres avancés en matière budgétaire par les pouvoirs publics.
Foin de ces commentateurs sceptiques, jugeons sur pièce !
Le ministre, dans sa conférence de presse du 27 septembre, explique que son ministère a fait un grand bon en avant. Et d’énumérer une liste conséquente de grands projets – achevés ou en passe de l’être : « Ce ministère est un ministère d’avenir. C’est celui de grands projets, à Paris et en Régions. J’en veux pour preuve le Louvre à Lens, le musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille, le Centre Georges Pompidou à Metz et, pour les ouvertures de lieux nouveaux, le centre national du costume de scène à Moulins, que j’ai inauguré cet été, et Les Pavillons noirs à Aix, que j’inaugurerai dans quelques semaines. Le projet immobilier et le chantier des collections du nouveau centre des archives nationales de Pierrefitte, appelé à jouer un rôle essentiel dans la transmission de notre mémoire collective, progresse. Depuis 2002, la majorité des investissements du ministère de la Culture et de la Communication est située hors de l’Ile-de-France, en dépit de la présence dans la région capitale de grands établissements culturels prestigieux à dimension internationale. Nos concitoyens peuvent être fiers de ces grands projets qui expriment la vitalité et
l’originalité du rayonnement de notre culture dans le monde. Le succès du Musée du Quai Branly, ouvert cette
année, en témoigne ».
Bravo s’écriera le candide impressionné par tant de réalisations sublimissimes !
Sans compter que « ce ministère […] est aussi celui de l’enseignement supérieur artistique et culturel, dispensé dans 115 établissements placés sous son contrôle […] ».Bravo, encore bravo, entonnera alors notre candide !
Et, tout candidement, il posera la question, naïve et loin de tout impertinence, vu le respect qu’il doit aux plus
hautes autorités de la République : « Et pour faire tout ça, combien de divisions supplémentaires ? »..
Brièvement, on lui présente alors un petite exercice de calcul pour enfant de 5 ans : « nous avons obtenu 63
créations d’emplois » supplémentaires »….. qui « seront en partie autofinancées par la réduction de 47 ETPT[[ ETPT : signifie « Equivalent Temps Plein Travaillé » sur le budget de l’Etat »]] !!!! Ce qui signifie qu’il reste 26 emplois supplémentaires nets… pour accomplir ces tâches colossales !
A qui fera-t-on croire qu’avec 26 emplois en plus pour l’ensemble du ministère, ses agents pourront assumer
leur mission de service public culturel dans les meilleures conditions ?
Même si on ne considère que les 63 postes supplémentaires affectés aux établissements publics, qui peut
croire sérieusement qu’avec 32 postes pour le Louvre, 22 pour la future Cité nationale de l’histoire de
l’immigration et 4 pour « renforcer » la Cité de l’histoire et du patrimoine, tout ira bien, Madame la marquise,
tout ira bien ? Dans les faits c’est une importante réduction des emplois qui se fait jour au ministère.
Quant à l’ensemble du budget du ministère, nous avons rencontré un petit malin, pas candide pour deux sous
celui-là qui nous a demandé si le ministre n’était pas un sophiste : Comment expliquer dans le même temps
qu’aucun secteur du ministère ne sera laissé de côté et qu’il y a 3 priorités ? Est-ce à dire que tous les secteurs de la culture seront traités à égalité mais que certains seront traités de manière plus égale que d’autres ? Point du tout rétorquera à ce petit malin, lui véritablement très
impertinent Monsieur le ministre ou son directeur de cabinet, puis qu’on vous dit que tout va très bien
Madame la marquise. D’ailleurs, souvenez-vous, c’était la crise, la faillite, l’hécatombe du côté des monuments historiques. Les entreprises de restauration fermaient boutique – générant forcément quelques chômeurs de plus – faute d’être payées pour les travaux accomplis. Les bourses des DRAC étaient vides et nul ne pouvait espérer toucher le moindre denier.
Las ! Le premier ministre s’est rendu sur place, à Amiens, il a vu et il a compris : la première des 3 priorités
budgétaires sera donc pour les monuments historiques : en 2007, plus de 380 millions d’euros seront consacrés à la restauration et à l’entretien du patrimoine monumental. En réalité cette somme correspond à peu près aux dépenses nécessaires annuellement pour ce secteur. Ce n’est donc pas un pas en avant, c’est de la restauration !
Mais ces mesures financières seront en partie le produit des droits de mutation à titre onéreux. Ce qui interdit
dans ce cas de parler de ressources budgétaires.
Quant à la deuxième priorité, le livre et la lecture, elle est, elle aussi, financée par des mesures extra budgétaires. Tant mieux pour le livre et la lecture mais le petit malin aura beau jeu de faire remarquer à l’honorable société, c’est-à-dire vous et nous, que si un sou est un sou, un sou provenant du budget est un sou que vous et nous, les contribuables, versé au titre de l’impôt ! en revanche, un sou – en l’occurrence le passage de 21 à 35 millions d’euros que va permettre la réforme de la taxe sur la reprographie affectée au Centre national du livre – en provenance de ressources extra-budgétaires ne peut être considéré comme relevant du budget de l’Etat. Du moins, était-ce encore, il n’y a pas encore si longtemps, la doctrine de la République !
Enfin, face à la mobilisation des intermittents du spectacle qui ne désarment pas et au projet de proposition de loi sur les annexes 8 et 10 du régime d’assurance chômage[[Le projet de proposition de loi sur les annexes 8 et 10 du régime d’assurance chômage (PPL) a été signé par plus de 470 parlementaires de tous bords : UMP, UDF, PS, PCF, Verts. Il sera mis en discussion à l’Assemblée nationale le 12 octobre.]], la troisième priorité est le spectacle vivant. Mais l’abrogation du protocole d’accord mortifère du 26 juin 2003 et la remise à plat du système d’indemnisation
du chômage des professionnels du spectacle ne sont toujours pas à l’ordre du jour, alors que le ministre s’était
engagé, au cas où les partenaires sociaux n’arriveraient pas à se mettre d’accord avant la fin de l’année 2005…., à recourir à la loi. Ce n’est pas la pérennisation du fonds de solidarité, abondé par 5 millions d’euros, qui va permettre de reposer les bases de la mutualisation interprofessionnelle de l’assurance chômage. Cette mesure permettra de limiter les situations les plus désespérées, mais ne réglera rien sur le fond.
En résumé, tout ne va pas si bien, Madame la marquise, au ministère de la culture, et les citoyens comme les agents du ministère ont tout lieu d’être prudents et de ne pas s’en laisser compter par ces déclarations d’affichage mystificatrices et quelque peu affabulatrices…. En un mot : abracadabrantesques !
L’expérience nous a appris à ne pas être dupes de la présentation en trompe l’oeil d’un budget d’attente
électorale !
Le 4 octobre 2006