Pour un véritable statut des guides
L’ubérisation est en train de frapper fort le monde de la Culture et notamment celui de la médiation culturelle. La réouverture du Palais de la Porte Dorée (Musée de l’immigration) a de nouveau mis en lumière le phénomène d’externalisation des guides conférencier-es ou médiateur-rices culturel-les. Loin d’être inédit, ce phénomène avait déjà touché, il y a quelques années, les salarié-es du Mémorial de la Shoah ou de l’Opéra Garnier. C’est à présent le tour à la Fondation Cartier et à la Réunion des Musées Nationaux-Grand Palais pour le Musée du Louvre avec une sous-traitance partielle ou totale.
Suite à la disparition du régime des intermittents du tourisme en 2014, les guides-conférencier-es se sont vu-es imposer une succession, parfois durant plusieurs années, de contrats courts (contrats précaires en CDD d’usage détournés de leur fonction première). Les employeurs s’en remettent ensuite à des agences externes, prestataires en concurrence pour remporter les appels d’offres. Les différents acteurs du secteur (Muséa, Pont des Arts, Magma Cultura ou Cultival, …) tentent de réduire les coûts pour être sélectionnés tout en dégageant leurs marges de profit. Ce marché juteux se joue au détriment des guides conférencier-es, contraint-es à se déclarer auto-entrepreneur-euses, permettant aux employeurs-« clients » d’économiser les frais de couverture sociale, le temps rémunéré de préparation de la prestation et d’évincer la sécurité contractuelle qu’offre le salariat.
Car sont-ils pour autant de véritables auto-entrepreneur-euses ? Bien évidemment que non ! Un lien de subordination persiste par la pratique de « contrôles qualité » sauvages dans les lieux culturels acheteurs, et la dépendance financière d’un employeur unique. Ces « entrepreneur-euses », loin de jouir de cette liberté tant vantée par la « startup nation » se voient imposer des tarifs toujours plus bas, des conditions de travail dégradées, des impératifs de disponibilité pour rester dans la course.
Outre des tentatives locales pour des requalifications de contrat, une mobilisation collective des guides conférencier-es avait tenté de porter le sujet sur la place publique en décembre 2020. La précarité de leur statut s’est révélée particulièrement dramatique durant l’épisode du confinement, la fermeture des établissements les privant de toute activité, et donc de tout revenu. Les prestataires avaient poussé le cynisme jusqu’à omettre de communiquer à l’Etat une planification de leurs travaux prévus pour une prise en charge similaire au dispositif de chômage partiel. L’année blanche du covid l’a été doublement pour ces professionnel-les.
Cette course à l’exploitation semble n’avoir aucune limite puisqu’à présent, il est même « proposé » aux étudiant-es de l’École du Louvre d’organiser des visites guidées à la chaîne pour la réouverture des appartements privés de Marie-Antoinette au Château de Versailles. Ces guides sans statut, sans carte officielle, envoyé-es par des administrateurs peu scrupuleux amplifient, malgré elles et eux, les tensions déjà existantes dans la profession et la dégradation croissante du métier.
L’essor d’un certain tourisme culturel low-cost conduit à cette dévaluation de la profession et à la dégradation des statuts de celles et ceux qui la font vivre. Le ministère de la Culture, comme les établissements de tous secteurs, doivent mettre fin à ces pratiques qui ne bénéficient qu’à des intermédiaires peu soucieux de pérennisation de l’emploi ou de qualité des prestations pour le public. Ces métiers, activité à part entière des lieux patrimoniaux et de création contemporaine, doivent être réintégrés dans la gestion interne du personnel qui les anime.