Sale temps pour le ministère

En cette période estivale, les nuages s’amoncellent sur le ministère qui est en passe de devenir un secrétariat d’Etat rattaché au Premier ministre : réforme de l’administration centrale, mission confiée à Philippe Bélaval sur la DGPAT, décret enlevant à Françoise Nyssen ses attributions liées à l’édition littéraire et de la tutelle du CNL, fortes inquiétudes sur l’avenir des DRAC, fusionnées ou non, … voilà de quoi méditer ces prochaines semaines.

Et donner corps à une révolte plus que nécessaire.

L’entreprise de destruction du ministère est-elle en cours ?

Les CTM se suivent et se ressemblent, s’apparentant de plus en plus à un jeu de dupes qui, depuis bien longtemps, ne nous fait plus rire. Celui du 5 juin n’aura pas échappé à la règle. Nous attendions, sinon avec impatience du moins avec un intérêt tout relatif, les propos de la ministre sur l’un des points qui nous préoccupe au plus haut point, les « grands axes du plan de transformation ministériel » puisque tel était l’intitulé du point 2 de l’ordre du jour. Ce n’étaient sûrement pas les quelques lignes jetées sur un recto d’une page A4 qui nous avait été transmise au préalable qui avaient pu nous éclairer sur les ambitions ministérielles.

de l’administration centrale ?

Après l’attaque frontale contre la politique des archives, les services à compétences nationales, les aides à la création et en attendant la casse de l’audiovisuel public, la ministre veut réorganiser au pas de charge sur le reste du quinquennat tous les services d’administration centrale. Ouvert dans le cadre d’Action publique 2022, le chantier « l’administration centrale stratège » mobilise dix groupes de travail sur les ressources humaines, la formation, les systèmes d’information, la documentation, le budget, la communication, l’action européenne et internationale, la recherche, la logistique et les études et observation. L’objectif est clair : des suppressions de postes, à raison de 160 par an jusqu’en 2022, une réorganisation attendue dès début 2019 et de probables externalisations, en particulier dans les services logistiques. De nouveau, il a été fait appel au cabinet MAZARS qui s’était illustré lors de la RGPP. N’oublions pas le projet Camus dont nous avons déjà amplement dénoncé les méfaits.

de la DGPAT ?

Au cours de ce CTM que Françoise Nyssen a fait le point sur les prochaines nominations à la DGCA (« au prochain conseil des ministres ») et à la DGPAT (« à la rentrée »), devenue un navire sans pilote puisqu’également privé de direction aux Archives et au Musées. Elle espérait sans doute passer sous silence l’information parue l’avant-veille dans la presse sur la mission confiée par Jupiter lui-même à Philippe Bélaval1 : évaluer l’organisation des services du patrimoine mise en place en 2010 suite à la RGPP et réfléchir à sa réorganisation. Confrontée aux demandes des organisations syndicales, elle nous a transmis sa lettre de mission qu’elle avait signée le jour même. Signée, mais certainement pas rédigée ! C’est ainsi que les propositions devront être remises non pas à elle-même, mais par un lapsus révélateur : « au gouvernement ».

Avec Stéphane Bern, voilà donc les nouveaux Bouvard et Pécuchet du Patrimoine !

Nous ne sommes certes pas contre réaliser des bilans des réorganisations passées mais certainement pas dans ces conditions, en « comité restreint » et au cœur de l’été pour un rendu dès la mi- septembre. Ce n’est pas sérieux ! Nous doutons que Philippe Bélaval soit mieux placé que l’IGAC pour mener à bien cette mission, lui qui ne s’illustra pas particulièrement comme directeur de la DGPAT et dont la volonté de mettre en œuvre les orientations de CAP 2022 au sein du CMN (mépris du dialogue social, externalisations, …) ne fait aucun doute. Le contenu même de la lettre de mission, qui vous a été transmise par l’intersyndicale culture, ne laisse place également à aucun doute. Les réponses sont dans les questions mêmes : supprimer la DGPAT dans son périmètre actuel tout en s’interrogeant sur l’ensemble des missions patrimoniales des DRAC, en particulier leur rapport avec les collectivités territoriales.

La lettre de mission indique également que les différents postes vacants le resteront pour l’instant. Mais la directrice du cabinet de la ministre a assuré que la volonté de les pourvoir au plus tard en septembre serait respectée. A voir donc….

L‘intersyndicale, considérant les anciennes fonctions de Philippe Bélaval comme premier directeur général des patrimoines ayant mené les travaux de structuration de cette direction résultant des réformes RGPP et ses fonctions actuelles à la tête d’un des principaux opérateurs dont il est question dans la lettre de mission, estime qu’il existe un problème déontologique évident lié à un conflit d’intérêt au sens de l’article 25bis de la loi n° 83-634 : « une situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions », en rupture avec l’obligation de neutralité et d’impartialité. C’est pourquoi elle a décidé de saisir le collège de déontologie du ministère pour qu’un avis formel soit rendu quant au bien fondé d’une mission commandée dans de telles conditions.

Si le collège de déontologie n’y trouvait rien redire, Monsieur Bélaval est invité à travailler en concertation avec « l’ensemble des acteurs concernés, y compris les personnels et leurs organisations représentatives ». Nous irons donc le rencontrer en temps utile pour prendre connaissance de ses propositions.

Le CNL passe sous la coupe du Premier ministre

Dernier avatar : en raison de potentiels conflits d’intérêt pourtant soulignés dès la prise de fonction de la ministre, celle-ci se voit dessaisie par décret ses attributions liées à l’édition littéraire et de la tutelle du Centre national du livre2 ? Ce qui ne sera pas sans poser de problèmes sur la gestion des nombreux dossiers en cours notamment les relations avec les éditeurs. C’est désormais la chaîne du livre qui est désormais scindée entre d’un côté les éditeurs, diffuseurs et distributeurs et de l’autre tous les autres acteurs (librairie et bibliothèques).

Cela commence à faire beaucoup pour une désormais demi-ministre, mais passons maintenant aux DRAC !

des DRAC ?

Alors que l’on nous avait promis des annonces en CTM sur l’avenir des DRAC, suite aux 9 préconisations du rapport du rapport IGAC/IGA/IGF, la ministre s’est contentée d’une énième déclaration d’amour à l’intention des personnels et de rabâcher les thématiques à explorer3. Seules informations nouvelles : une augmentation de 10% de détachements entrants et un volant supplémentaire de 200 000 euros pour abonder l’enveloppe des vacations ! Ce qui est évidemment loin d’être à la hauteur des besoins.

Deux réunions avec les organisations syndicales sont programmées les 17 (plan d’urgence informatique et adaptation de la gouvernance des équipes de direction des DRAC) et 25 juillet (mise en place de la GPEEC des DRAC : méthodologie, calendrier, éléments de cartographie). Pour l’instant, nous ignorons tout du « plan de transformation » que la ministre est censée envoyer au Premier ministre dans les semaines qui viennent. La publication du rapport CAP 2022, qui a été remis en avril au gouvernement, aurait pu nous éclairer sur l’avenir des DRAC. Mais le gouvernement a décidé de ne pas le rendre public, préférant annoncer les mesures qu’il entend mettre en œuvre au fil de l’eau !

Nous connaissons déjà sa volonté de supprimer massivement des emplois et de s’en prendre au statut de la fonction publique par un recours accru à la contractualisation4 et l’introduction de nouvelles techniques « managériales », encore obscures. Nous avons aussi eu l’occasion de dénoncer sa volonté de laisser une plus grande part au « mérite » dans la rémunération des fonctionnaires car nous savons les effets pervers de cette politique. En outre, la transformation digitale de l’action publique est, malgré les ratages retentissants de ces dernières années, considérée comme le Graal pour faire des économies, rationaliser les processus et améliorer la productivité.

Concernant la future organisation territoriale des services publics et donc des DRAC, ces derniers jours, des bruits convergents ont réveillé nos inquiétudes sur leur survie. Il semblerait en effet que les ultra libéraux qui organisent la casse du service public au sein de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), l’héritière du défunt SGMAP de sinistre mémoire, envisageraient de les dépecer. Leur « patron » n’est autre que Thomas Cazenave, lequel a notamment sévi à la direction des ressources humaines du groupe Orange avant de diriger et de mettre en œuvre la transformation de Pôle emploi de 2012 à 2016. Ce qui n’est évidemment pas un gage d’une excellente connaissance du milieu de la culture et des missions de notre ministère et de ses services déconcentrés.

La ministre a beau répété à l’envie que, forte du rapport inter inspections, elle défendra vigoureusement les DRAC, sa faiblesse face aux services du premier ministre ne lui permettra certainement pas de les protéger efficacement. Si elle a refusé de nous indiquer quelles étaient les pistes envisagées par le gouvernement, son secrétaire général, pressé par nos questions, a du admettre qu’il y avait effectivement une « musique » désagréable tout en restant mutique sur la partition. Néanmoins, il restait confiant à 90% sur le maintien des DRAC. Preuve qu’il y a également des inquiétudes du côté de l’administration centrale.

Au final, c’est bien l’opacité qui est de mise à tous les niveaux. L’attitude du gouvernement est inacceptable, inhumaine et inconvenante vis-à-vis des agent-es qui devront demeurer encore dans l’expectative et dans l’angoisse encore plusieurs mois avant de savoir à quelle sauce ils vont être mangés.

Si d’aventure, Françoise Nyssen ne réussissait pas à sauver les DRAC, elle n’aurait plus qu’une solution : démissionner à moins qu’elle se voit retirer son portefeuille à l’occasion d’un prochain remaniement ministériel.

Même si ce n’est pas dans les habitudes de SUD Culture Solidaires d’agiter le chiffon rouge, nous sommes particulièrement inquiet-es sur la capacité de ses dirigeant-es d’être à la hauteur des enjeux. C’est sur nos forces et notre capacité à résister que nous devrons avant tout compter pour mener le combat pour la défense de notre ministère tel qu’il s’est développé depuis sa création et de ses services déconcentrés.

SUD Culture Solidaires, le 11 juillet 2018.

1 Tout juste renouvelé à la présidence du Centre des monuments nationaux.

2 Lequel verse des aides aux maisons d’éditions comme Actes Sud dont les multiples accrocs à la réglementation patrimoniale fait depuis trois semaines la joie du Canard Enchaîné.

3 Pour rappel, les organisations syndicales ont rencontré (30 mai) le cabinet de la ministre et l’administration centrale pour élaborer une méthodologie et un calendrier de travail pour la mise en œuvre des recommandations du rapport inter-inspections sur les DRAC. À cette occasion a été validé l’élaboration pour septembre-octobre d’un accord qui rassemble les grands principes, les objectifs, la méthodologie et le calendrier prévisionnel de mise en œuvre des mesures préconisées par le rapport.

4 Ce qui permettra de limiter drastiquement le nombre de fonctionnaires prétendument grassement payé-es à ne rien faire alors que, bien que mal payé-es et travaillant dans des conditions de plus en plus dégradées, ils-elles sont dans l’immense majorité dévoué-es au service des citoyen-nes (particulièrement dans notre ministère).