Sous le titre « Pour des médias soustraits à l’emprise des pouvoirs économique et politique », la déclaration finale de la première session des Etats généraux, tenue en septembre 2006, présentait un ensemble d’exigences et de propositions qui n’ont rien perdu de leur actualité. Bien au contraire. Confirmées, elles appellent des compléments
Sous le règne de Sarkozy, le pouvoir politique, le pouvoir financier et le pouvoir médiatique se tiennent par la main. Rarement, depuis des décennies, l’interdépendance entre le premier, administré nationalement par un chef de clan, et les seconds, détenus par une oligarchie de plus en plus concentrée, a atteint un tel degré. Les restructurations économiques en cours dans la presse quotidienne, les menaces qui pèsent sur l’audiovisuel public et les facilités accordées aux groupes privés, la marginalisation voire l’étouffement des médias associatifs forment une politique cohérente contre laquelle les résistances s’organisent et doivent s’intensifier.
L’enjeu est d’importance. Le droit à l’information – le droit d’informer et le droit d’être informé – ne doit pas être simplement proclamé : il doit être garanti (comme tous les droits sociaux aujourd’hui menacés par la conjugaison du libéralisme économique et de l’autoritarisme politique) et bénéficier en conséquence des ressources correspondantes.
L’information, c’est notre affaire. Ce n’est ni celle des gouvernants et des propriétaires des médias, ni celle des chefferies éditoriales et des prétendues élites qui les servent, ni celle des publicitaires qui la défigurent et des chargés de communication qui la maquillent. C’est celle de chacun et de tous, et particulièrement des journalistes professionnels, des citoyens-journalistes des médias du tiers secteur, des associations d’usagers et de critique des médias, des syndicats et des associations, et du public lui-même qui sont tous partie prenante, à des titres divers, de la production de l’information.
Le droit d’informer doit être accessible à tous ; tous doivent disposer des moyens appropriés de l’exercer. La pluralité des supports et la multiplicité des médias ne sont pas par elles-mêmes une garantie suffisante du pluralisme de l’information, indissociable de la diversité de ses sources et de ses formes. Les médias sans but lucratif (et parmi eux les médias associatifs et syndicaux) doivent bénéficier prioritairement des aides publiques, directes et indirectes, bénéficiant paradoxalement, à ce jour, aux médias les plus mercantiles et, de fait, aux publicitaires. La remise en cause des ordonnances de 1944 et 1945 sur la presse sont inacceptables, comme le sont les abandons des tarifs postaux privilégiés et du taux réduit de TVA, ainsi que la perspective d’une libéralisation de la distribution de la presse.
L’information est un bien public. Ce n’est pas – ce ne doit pas être – un bien privé dont les propriétaires des médias, le patronat et les gouvernants disposent à leur gré, en multipliant notamment – visibles ou invisibles – les censures arbitraires, ainsi que les secrets discrétionnaires. La protection des sources doit être garantie par une loi qui ne laisse aucune prise aux interprétations abusives de la police et de la justice. Les secrets commerciaux et bancaires doivent être levés pour que puisse s’exercer une information économique digne de ce nom. Les entreprises, et en particulier les entreprises privées – où les salariés, quand ils ont un emploi, passent une part majeure de leur existence – sont de véritables « zones de non droit » à l’information : les syndicats et les représentants des personnels doivent pouvoir les rendre accessibles aux journalistes soucieux d’enquêter sur les conditions de travail.
Le droit d’être informé ne doit excepter aucun aspect de la vie économique, sociale, culturelle et politique. Or ni la qualité ni le pluralisme de l’information, notamment quand il s’agit des questions sociales et des questions internationales, ne sont véritablement garanties : ce sont des rubriques généralement sacrifiées sur l’autel de l’audimat et de la rentabilisation financière. En particulier, l’information sur les questions et les mobilisations sociales, notamment quand elles émanent des associations et des syndicats, sont atrophiées. Leurs propositions et les motifs de leurs actions sont trop souvent tus ou défigurés par des experts en contre-réformes. Le droit d’informer, qui est aussi celui de tous les acteurs de la vie sociale est confisqué par des responsables de rédaction qui prétendent de surcroît exercer un véritable droit d’ingérence dans l’organisation démocratique des mobilisations. Sans développement d’un réel pluralisme, les contestations que suscitent de tels abus resteront légitimes.
Le service public, c’est notre affaire – Regarder la télévision, écouter la radio, et consulter, de plus en plus, Internet sont parmi les principales pratiques culturelles des français. Il n’est pas acceptable qu’elles soient livrées à des groupes privées qui les traitent en clients et en clients des publicitaires, simplement parce que leur principal objectif est la maximisation des profits. Il n’est pas acceptable que le pluralisme de la presse écrite d’information générale soit sacrifié par des rentabilisations strictement commerciales et des investissements dans les médias les plus profitables.
Contre la volonté de le dépecer, il est urgent de sauver le service public de l’audiovisuel et de le développer. Sous couvert d’envisager l’avenir de l’audiovisuel public, le pouvoir en place met tout en œuvre, à travers le mascarade de la Commission Copé pour une Nouvelle Télévision Publique, pour soutenir les chaînes privées et, plus généralement, la constitution de « médias globaux » essentiellement privés eux-aussi. Un financement des chaînes publiques indépendant de la publicité et pérenne suppose, entre autre pistes compensatoires, que la redevance, rendue proportionnelle aux revenus pour ne pas aggraver la baisse du pouvoir d’achat des plus démunis, soit augmentée. Or la « réforme » envisagée, telle qu’elle se prépare, aura en réalité des conséquences désastreuses : le sous financement du sous-financement du secteur public, et partant des radios associatives, une centralisation et une rentabilisation impliquant, sous couvert de « synergies », de lourdes menaces sur l’emploi, sur la diversité des programmes et sur l’information, avec la disparition du pluralisme au niveau national, régional et local. Résultat : la constitution d’un secteur public de seconde zone, replié derrière d’illusoires frontières et rendu disponible pour de nouvelles privatisations.
Contre les tentatives d’asservir l’information et la culture aux prétendues lois du marché, il est urgent de construire un pôle public et associatif des médias sans but lucratif, véritable service public de l’information et de la culture, garant du pluralisme, riche de sa diversité et respectueux de la multiplicité de ses formes. Ce qui suppose d’abord qu’il soit fait barrage aux nouvelles tentatives de privatisation et de renforcement des groupes privés. La concession des chaînes privées à des groupes dépendants de marchés publics doit cesser. Pour cette raison, entre autres, la déprivatisation de TF1 doit être mise en œuvre. Les dispositifs contre les concentrations multimédias doivent être, de surcroît, renforcés et non pas allégés. Le statut public de l’AFP, aujourd’hui menacée de privatisation, doit être conforté. Les médias du tiers secteur doivent être soutenus, par un fonds mieux doté et étendu aux télévisions associatives. Celles-ci, comme les radios associatives, doivent bénéficier d’un droit d’accès à tous les réseaux de diffusion. Ainsi un pôle public des médias (incluant l’AFP) serait constitué et pourrait nouer un partenariat privilégié avec tous les médias sans but lucratifs qui, affranchis de la pression des actionnaires et des publicitaires, contribuent au service public.
A toutes ces exigences démocratiques, les gouvernants, depuis le tournant libéral pris il y a plusieurs décennies, ont répondu généralement par des fins de non recevoir. A ces exigences démocratiques, la majorité du moment, sous l’autorité de Nicolas Sarkozy, tourne complètement le dos. Mais puisque l’information et le service public sont notre affaire, c’est l’affaire de tous, individuellement et collectivement, de se mobiliser pour défendre le pluralisme contre les attaques frontales qu’il subit et pour exiger son expansion.
Premiers signataires (17 mai 2008) :
ACJ, Acrimed, Le Dispositif, FNVPQ, Métazone, SNJ, SNJ-CGT, Sud Culture, Union syndicale Solidaires,… ???