Le ministère de la culture s’enorgueillit à longueur de colonnes de son double label « diversité » et « égalité ». Moins du protocole égalité femmes/hommes, signé en 2018 par l’ensemble des organisations syndicales représentatives ! L’énergie et les moyens consacrés à l’obtention de ce label auraient été mieux employés en finançant la mise en œuvre du protocole qui est assurément à la peine. Il aura fallu un an pour qu’un plan d’action contre les violences sexistes et sexuelles soit présenté aux organisations syndicales (si tout va bien au CHSCT Ministériel du 25 novembre, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes oblige). Il faudra encore attendre qu’il soit décliné dans les directions et les Établissements publics du ministère qui sont largement à la traîne.
Le cas sidérant de Christian N.
Une nouvelle fois, après des premières révélations publiées dans le Canard enchaîné (29 mai 2019) le ministère fait la une des médias à la suite d’une enquête de Libération. Non pas pour vanter sa politique culturelle, mais pour une affaire de violences sexistes et sexuelles dont s’est rendu coupable un administrateur civil hors classe.
Christian N. – nous conservons un anonymat de façade –, après une carrière à France Télécom, a occupé des responsabilités au sein de notre ministère (sous directeur des politiques des ressources humaines et des relations sociales, 2008-2013) puis à la DGFAP (sous-directeur de l’animation interministérielle des politiques de RH, novembre 2013-mai 2014) qui l’avait nommé pour siéger au Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ! La DGFAP l’éjectera au bout de six mois, selon nos sources, parce qu’il avait pris des photos sous les jupes d’une de ses collègues, ce qui mit également immédiatement fin à ses fonctions au sein du Haut conseil. Le ministère de la culture l’a alors récupéré et lui a trouvé un point de chute au Département de l’Action Territoriale (DAT) pour gérer la fusion des DRAC avant de le nommer directeur adjoint de la DRAC Grand Est.
Pendant près de 10 ans, Christian N. a ainsi pu se livrer à ses turpitudes : prendre en photo des agentes du ministère (qu’elles soient en jupe ou en pantalon) et intoxiquer ses interlocutrices avec des diurétiques pour les obliger à uriner devant lui, afin de jouir de leur humiliation. Alors qu’il prenait en photo une sous-préfète, un fonctionnaire de la DRAC Grand Est l’a pris en flagrant délit et a eu le courage de dénoncer ces faits (juin 2018) auprès du secrétaire général qui a fait un premier signalement auprès du procureur. Sa suspension a alors été prononcée. C’est par un pur hasard qu’une collègue de la DRAC Grand Est a découvert dans une clef USB une liste de plus de deux cents victimes. Cette découverte a fait l’objet d’un second signalement au procureur par le ministère en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale et d’une CAP disciplinaire qui a abouti à la radiation de la fonction publique du coupable (arrêté du 13 décembre 2018). Il officie désormais dans … le coaching individuel. Christian N. ayant été mis en examen fin octobre 2019 et placé sous contrôle judiciaire, la procédure pénale suit désormais son cours, avec son lot de convocations de témoins.
Cet individu, nous l’avons côtoyé régulièrement au Comité Technique Ministériel (CTM), au Comité Hygiène, Sécurité et Condition de travail (CHSCTM) ou dans des réunions syndicales, notamment lors de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) dont il était un farouche partisan. Ironie du sort, c’est à lui qu’il revenait de recevoir les candidates victimes ou non de mobilités forcées en raison de la suppression de leurs postes. Si nous l’avons combattu pour son zèle à mettre en œuvre la RGPP puis la fusion des DRAC, nous n’avions jamais décelé ses méfaits et n’avons jamais été alerté·es par des victimes ou des témoins.
En tant que syndicalistes, cette absence de signalement nous interpelle. Certes, nombre de ses victimes, souvent en situation de précarité, n’ont peut-être pas eu conscience sur le moment de l’aspect volontaire de ses agissements. Des retours que nous avons aujourd’hui, c’est à la lecture de la presse que nombre d’entre elles ont compris ce qui leur était arrivé. Mais pour les autres ? Alors que SUD Culture est depuis longtemps impliqué dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, nous n’avons clairement pas été identifié·es comme pouvant leur apporter une aide. Il nous appartient de mieux communiquer afin que les victimes ne se sentent plus isolées et que les lanceurs et lanceuses d’alerte se sachent soutenu·es syndicalement.
Une prise de parole tardive du ministre
Lors du CHSCTM du 14 novembre, dans son discours introductif, Franck Riester a eu des phrases fortes. Nous l’avons interpellé pour qu’il prenne ses responsabilités et s’adresse enfin aux médias et aux agent·es et que toutes les victimes puissent bénéficier d’une écoute et d’une protection fonctionnelle pour celles travaillant encore au ministère. Il s’est prononcé favorablement.
Quant aux victimes ayant quitté le ministère, il a proposé qu’elles soient mises en contact avec des associations pouvant les accompagner juridiquement. Or ces associations n’ont plus les moyens de faire face, puisque le gouvernement, prompt à faire de la com’ et des tweets, a diminué drastiquement leurs subventions. Nous avons donc demandé que le ministère participe au financement de ces structures si elles doivent accompagner des victimes de Christian N. Il est par contre resté plus flou s quant à la mise en œuvre d’une enquête, notamment sur sa forme, destinée à identifier les dysfonctionnements de l’administration et les éventuelles complicités qui ont permis la poursuite de tels agissements. L’article de Libération fait état de signalements de la part de victimes qui n’ont pas été suivis d’effet. Nous voulons savoir pourquoi Christian N. a pu continuer sa carrière en bénéficiant de mobilités, s’il y a eu une volonté de le protéger, d’étouffer l’affaire ou de minimiser les faits.
Combien de Christian N. au sein du Ministère de la culture et de ses établissements ?
Si nous pouvons espérer qu’un tel degré de perversion est rare et que le cas de Christian N. soit unique au ministère, l’ampleur et la durée de ses pratiques ne doivent pas nous conduire à occulter les violences sexistes et sexuelles auxquelles sont exposées les agentes, les salariées des entreprises de sous-traitance ainsi que les étudiantes du ministère .
Il en est ainsi, par exemple, du monde de l’art et ses écoles qui n’ont pas été épargnées ces dernières années. Mains sur la cuisse, insultes sexistes, harcèlement sexuel et moral, élèves contraintes d’éviter des professeurs et des cours tout au long de leur cursus, humiliations, remarques sur l’apparence, présupposés sexistes sur la qualité du travail ne sont pas rares. Si ces dérives ont été dénoncées par SUD Culture, elles ont aussi été mises en lumière, dès 2006 puis en 2009, par Reine Prat, inspectrice générale au ministère de la Culture et autrice des rapports pour l’égalité des femmes et des hommes dans les arts du spectacle. En juin 2013, un rapport choc de la sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin (PCF) sur « la place des femmes dans l’art et la culture : le temps est venu de passer aux actes« , remis à Aurélie Filippetti prouvait que le fléau des comportements sexistes restait relativement banalisé dans les écoles d’art. L’omerta résultait de la conjonction de plusieurs facteurs : la sous-représentation des femmes dans le corps enseignant et aux postes de direction des établissements d’enseignement artistique ainsi que l’absence d’une réflexion approfondie sur la pédagogie. Ce n’est qu’en mars 2015, qu’une charte a été signée par les 57 écoles sous tutelle du ministère de la Culture. Mais les différentes révélations surgies dans le sillage de #MeToo nous laissent plus que sceptiques sur son application.
80 % des femmes salariées considèrent qu’elles sont régulièrement confrontées à des attitudes ou décisions sexistes1.
1 femme sur 3 a été victime de harcèlement sexuel au cours de sa vie professionnelle.
5% seulement des cas ont été portés devant la justice2.
En l’absence de données spécifiques, nous pouvons sans peine appliquer ces statistiques à l’ensemble du périmètre ministériel.
Si le ministère commence à se doter d’outils pour lutter contre ces violences encore faut-il que les victimes soient entendues, que leur parole ne soit pas remise en cause, que leur hiérarchie cesse de protéger les agresseurs, y compris lorsqu’il s’agit de hauts fonctionnaires.
La tâche est grande pour l’administration du ministère… comme ses organisation syndicales.
Il faut que la honte change de camp et que les femmes prennent la parole et soient écoutées !
Contre les violences faites aux femmes, toutes et tous dans la rue le 23 novembre
SUD Culture Solidaires s’inscrit dans l’appel unitaire de #NousToutes et de l’Union syndicale Solidaires pour la journée d’action du 23 novembre3.
Il faut s’attaquer au système patriarcal partout et constamment, dès l’école maternelle, dans la rue, dans les médias, dans les entreprises, au travail comme dans toutes les organisations collectives.
C’est ce système qui « autorise et tolère » socialement les conduites de dominations, de violences envers les femmes jusqu’à la mort de plusieurs dizaines d’entre elles chaque année.
Les mesures à appliquer sont déjà connues :
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La reconnaissance de la spécificité des violences faites aux femmes par l’inscription dans la loi du terme de féminicide.
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Aucune plainte refusée et sans suite, ce qui veut dire tenir compte de la parole des femmes pour les aider à justement dénoncer ce qu’elles vivent, sans honte ni culpabilité.
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Des mesures de protection rapides ce qui veut dire mettre fin à l’impunité des agresseurs, quels qu’ils soient.
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Des places suffisantes en hébergement d’urgence dans tous les départements.
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Des fonds pour les associations qui accompagnent les femmes victimes…
Il faudra aussi un budget à la hauteur de ces ambitions, et nous réclamons comme d’autres organisations féministes un vrai milliard pour enfin stopper cette horreur !
Pour accélérer et imposer la mise en place de ces mesures, il faut être nombreuses et nombreux à se retrouver dans la rue. Nous vous donnons rendez-vous à la manifestation nationale à Paris le samedi 23 novembre, 14h à Opéra, et dans les nombreuses initiatives prises un peu partout en France autour du 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.