Les réformes et réorganisations (RGPP, DRAC, AP2022) se succèdent à un rythme effréné sans pour autant que l’amélioration des conditions de travail des agent-es soient au cœur des préoccupations de l’administration.
C’est pourtant dans ce contexte tendu, qu’outre la réorganisation territoriale des services publics1, la déconcentration et la réorganisation de l’administration centrale, est venue se greffer la mission confiée au président du Centre des Monuments Nationaux (CMN) Philippe Bélaval. Nous avons pris connaissance de celle-ci et de sa lettre de mission lors du comité technique ministériel du 4 juillet dernier : « une mission de réflexion, devant déboucher sur la remise au Gouvernement d’un certain nombre de propositions relatives à l’organisation de l’action de l’État dans le domaine patrimonial ». Cette annonce n’a pas manqué de provoquer beaucoup de questions et d’inquiétudes. Pourquoi une telle mission, pourquoi cette mission n’a-t-elle pas été confiée à l’Inspection Générales des Affaires Culturelles (IGAC), pourquoi une mission spécifique à cette direction… Pourquoi autant de précipitation ? Philippe Bélaval doit en effet rendre ses propositions pour la mi septembre !
À la demande de l’intersyndicale du ministère, une réunion avec Philippe Bélaval, pilotée par la directrice du cabinet a eu lieu le 28 août. D’autre part, les organisations syndicales de la DRAC Hauts-de-France ont été reçues par Philippe Bélaval le lendemain.
Dans l’attente de son rapport – qui sera transmis aux organisations syndicales –, que retenir de ces deux entretiens ?
Philippe Bélaval a reconnu qu’il devait travailler dans un calendrier contraint, de surcroît pendant les vacances. Il n’a donc pas la prétention d’établir un diagnostic exhaustif mais, en acceptant cette mission, il souhaitait « affirmer une conviction que ce soit pour l’importance de la politique des patrimoines pour le patrimoine lui-même, pour le ministère et ses agents ». Ce qui ne mange pas de pain.
Il a constaté un malaise général des agent-es, plus exactement un blues généralisé du fait des réductions d’effectifs et des réformes à répétition. D’après lui, ses propositions vont donner un élan au personnel. On peut en douter !
Il plaide donc pour une « armistice législative et réglementaire ».
Il n’envisage pas de démantèlement de la Direction Générale du Patrimoine (DGPat dont la création ne lui semble pas avoir été la meilleure idée du ministère, mais dont il a pourtant assumé la direction sans état d’âme particulier), ni le retour aux différents services qui existaient avant sa création. Constatant un « déficit de réflexion à mettre au passif de cette direction », il proposera des réorganisations internes pour aboutir à une « DGPat unifiée pour l’ensemble du secteur patrimonial favorisant les transversalités entre des services ». Il s’agirait de réunir certains services ayant des champs d’action communs, comme par exemple la protection du paysage ou les autorisations de sortie des biens culturels.
Il met néanmoins « les Archives à part » en proposant de regrouper au sein d’un même service interministériel les services d’Archives des Affaires étrangères, de la Défense et du Ministère de la culture. Ce sujet n’est pas nouveau et pose la question de la faisabilité et du lieu de rattachement : auprès du premier ministre ou du Ministère ? Il s’agit là d’une ancienne revendication syndicale, notre souhait étant bien entendu un rattachement à la culture.
Concernant les Services à Compétence Nationale (SCN) et les Établissement Publics (EP), il est dans la droite ligne de CAP 2022. Il faut « optimiser les relations avec les autorités de tutelle », ce qui pour le président du CMN qui reprend sa casquette initiale, doit se traduire par moins de tutelle, notamment sur les aspects RH ou financiers. Il envisage de s’entretenir avec l’ensemble des président-es des EPA. Concernant l’avenir des SCN, il est resté flou.
Concernant les DRAC dont il ne semble pas bien maîtriser le fonctionnement, il ose affirmer que leurs agent-es sont éloigné-es du terrain. Il devrait relire les diagnostics territoriaux et les différents rapports d’inspection qui disent tous le contraire !
Considérant que la politique patrimoniale doit rester une compétence régalienne exclusive de l’état, il écarte toute proposition de décentralisation ou de transfert de compétences vers les collectivités locales. Mieux, il envisage un retour de l’inventaire au sein des DRAC dont le départ a été une lourde qui erreur qui a cassé la chaîne patrimoniale. Il ne fait là que reprendre les arguments des organisations syndicales qui s’étaient fermement opposées à ces transferts.
Il en vient enfin à ce qui est constitue probablement l’un des éléments essentiels de sa mission, dans la droite ligne des exigences du Premier ministre : renforcer les échelons de proximité via le renforcement des Unités Départementales de l’Architecture et du Patrimoine (UDAP), selon lui, injustement méprisées. Cela fait des années que nous demandons vainement le renforcement des effectifs des UDAP, qui œuvrent dans des conditions particulièrement difficiles. Contrairement à ce qu’affirme Philippe Bélaval les transversalités et les échanges d’information entre les différents services du patrimoine sont désormais pratiquement la règle.
Philippe Bélaval s’aligne sur une chimère des architectes des bâtiments de France (ABF) et de leurs organisations (SNATEAU et Association Nationale des ABF) qui se considèrent comme les seuls interlocuteurs de proximité clairement identifiés. Lors de la fusion, ils avaient milité pour le renforcement des UDAP par des agents en charge de l’archéologie (SRA), des monuments historiques (CRMH), des sites et paysages (inspecteurs de sites), des musées et, pourquoi pas, du livre ou du spectacle vivant. Cette option, défendue également par un certain nombre des préfets préfigurateurs de la fusion des DRAC, avait un temps était défendue auprès de la MICORE par le cabinet de Fleur Pellerin. Au final, l’idée avait été abandonnée au profit de la création d’une quarantaine de conseillers en charge de l’action culturelle de proximité déployés pour partie en DRAC et pour partie en STAP.
Voilà donc la solution qui sera peut-être préconisée par Philippe Bélaval, censée résoudre tous les problèmes, en finir avec les incompréhensions envers toutes celles et ceux qui sont considéré-es comme des empêcheurs/euses de bétonner. Voilà, selon lui, la « digue » qui va sauver les DRAC !
Peu lui importe que les cohérences scientifiques soient détruites. Il reste par ailleurs flou sur la manière dont les effectifs des UDAP vont être renforcés. N’osant évoquer des mobilités forcées, il veut que le ministère donne désormais la priorité aux recrutements dans les UDAP, quitte à déshabiller progressivement les autres services.
En réactivant l’idée de services territoriaux de la culture à vocation pluridisciplinaire, Philippe Bélaval signe, à terme, l’acte de décès des DRAC. Il va ainsi à l’encontre des propos de la ministre, affirmant depuis des mois à tout va qu’elle les a sauvées. Ce qui, reconnaissons-le, est en partie vrai, au vu des informations qui nous sont parvenues. Nous attendons dès à présent, si elle en a encore le loisir, une prise de position forte de sa part. Comme Philippe Bélaval a prévu de se déplacer à Paris, Rennes et Toulouse, nous appelons nos collègues à lui réserver un accueil à la hauteur de ses propositions.
Pour notre part, nous n’avons jamais considéré que monsieur Bélaval, eut-il l’oreille du président Macron, avait une quelconque légitimité pour réformer le service public de patrimoine. Nombre de pistes qu’il envisage aujourd’hui nous donnent amplement raison.
C’est dans le cadre d’une large intersyndicale, que nous continuerons, comme toujours, à nous battre pour défendre le service public de la culture et pour maintenir l’échelon régional des DRAC dans l’intégralité des missions qui sont les leurs.
1. Les Drac commencent à remettre leurs contributions .
SUD Culture Solidaires,
le 30 août 2018