Bradage de la traduction, plan social invisible : Harlequin passe à l’IA
Depuis quelques semaines, plusieurs dizaines de traducteurs et traductrices travaillant régulièrement avec les éditions Harlequin reçoivent les unes après les autres un appel téléphonique leur annonçant la fin de leur collaboration avec la maison d’édition. Leurs contrats en cours seront les derniers.
Collection par collection, Harlequin abandonne la traduction : un prestataire externe, l’agence de communication Fluent Planet, se chargera de passer les textes dans un logiciel de « traduction automatique » et de recruter directement en freelance des relecteurs et relectrices chargées de post-éditer la sortie machine en français. L’objectif affiché est de gagner en rentabilité en rognant sur le temps de travail.
C’est, à notre connaissance, la première fois en France qu’une maison d’édition passe à grande échelle à la « traduction automatique » et à la post-édition, de surcroît en externalisant cette activité. Dès lors, mérite-t-elle encore le nom de « maison d’édition » ?
De telles pratiques sont inacceptables. Des personnes, parfois collaboratrices de longue date de la maison, perdent brutalement une source de revenus régulière, ne se voyant offrir comme compensation que la possibilité (sans aucune garantie, d’ailleurs) de travailler au rabais pour un prestataire externe, Fluent Planet, au lieu de traduire pour une maison d’édition. Une perspective que beaucoup des traducteurs et traductrices concernées refusent.
Pour cesser de travailler avec nous, artistes-auteurs et autrices, pas besoin de licenciement ni de préavis, même si la collaboration a été régulière pendant cinq, dix, voire vingt ans. La réalité de la perte brutale d’activité et de revenus n’en est pas moins là. Nous subissons de plein fouet la précarité extrême de notre condition d’artistes-autrices et auteurs : nous n’avons aucun droit au chômage, et certaines personnes concernées proches de l’âge de la retraite ne pourront même pas compter sur une pension décente du fait du non-appel des cotisations de la part de l’AGESSA. Dans ces circonstances, nous devons en tant que profession nous élever collectivement face à ce qui s’apparente à un plan social invisible.
Ces pratiques sont une trahison des travailleurs et travailleuses du livre, mais aussi une trahison du lectorat. C’est brader totalement l’activité de traduction, au mépris des personnes qui traduisent et de celles qui lisent. C’est mettre le doigt dans l’engrenage de la dégradation des productions éditoriales, dans une logique délétère du « good enough » (qualité passable) qui dépossède les travailleurs et travailleuses du livre de leur savoir-faire et de leur créativité, et le lectorat d’un accès à une littérature humaine et vivante.
Travailleurs, travailleuses du livre, directions de maisons d’édition, lecteurs, lectrices : refusons que la « traduction automatique » mette le pied dans la porte des maisons d’édition et réaffirmons notre attachement inconditionnel à des textes humains, créés par des humaines et des humains, dans des conditions de travail dignes.
L’ATLF (Association des traducteurs littéraires de France) & le Collectif En chair et en os, pour une traduction humaine
15 décembre 2025
Avec le soutien de : ATAA (Association des traducteurs et adaptateurs de l’audiovisuel), ATLAS (Association pour la promotion de la traduction littéraire), Charte des auteurs et illustrateurs de jeunesse, Collectif IA-lerte générale, CAAP (Comité pluridisciplinaire des artistes auteurs et autrices), Éditeurs du Sud, Fill, Fédération interrégionale du livre et de la lecture, Ligue des auteurs professionnels, Réseau Les Résidences pour l’art d’écrire, SAIF (Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe), SdS (Syndicat des scénaristes), Section des correctrices et correcteurs du SGLCE-CGT (Syndicat général du Livre et de la Communication écrite CGT), SFT (Société française des traducteurs), SNAP-CGT (Syndicat national des artistes-plasticien·nes), STAA-CNT-SO (Syndicat des travailleur·euses artistes-auteur·ices), Sud Culture Solidaires Métiers du Livre.