De l’urgence sanitaire à l’urgence sociale, la culture doit se transformer

Communiqué CFDT-CFTC-CGT-FSU-SUD-UNSA

La gravité de la crise sanitaire qui frappe notre pays a conduit le président de la République
et le gouvernement à prendre des mesures exceptionnelles. Partout désormais,
le confinement et la limitation des déplacements aux besoins de première nécessité sont à l’ordre du jour.

Ces
restrictions et consignes, inédites par leur ampleur et leurs
conséquences sur le fonctionnement
de notre société, les relations sociales et l’économie, sont bien sûr
également valables pour les travailleuses et les travailleurs et le
monde du travail. Alors que président de la République puis le
gouvernement ont signifié clairement que le travail à distance
devait être privilégié en toutes circonstances, en même temps, ils
obligent tous les salariés des secteurs dits essentiels à continuer
d’aller travailler et préparent des lois de réquisition. Certes, ils
précisent que la sécurité sanitaire doit être maximale,
mais nous ne sommes pas dupes dans les circonstances actuelles.



C’est
dans ce contexte d’urgence et sous la pression des événements que le
ministère de la Culture
et son administration ont tenté d’apporter des réponses immédiates aux
questions les plus pressantes. Celles-ci sont forcément incomplètes et
imparfaites.

Il
est temps pour l’intersyndicale culture, de pointer les
questions les plus sensibles et préoccupantes et d’alerter
l’administration sur les risques encourus par nos collègues du
ministère.

Des priorités absolues et incontournables

Protection, santé et intégrité des personnels : de trop nombreuses zones grises

La toute première des priorités concerne la situation des personnels (notamment
postés, administratifs ou techniques) dont les missions requièrent d’être présent sur les sites relevant du ministère.

Si
on en juge par la description précise du travail réel faite par les
agents, nous sommes en mesure d’affirmer que l’administration tend
parfois à confondre deux notions pourtant bien distinctes : les missions
essentielles d’une part et le travail présentiel d’autre part.

Il conviendrait tout d’abord d’objectiver ce qui relève précisément des
missions essentielles en pareille situation de crise, et c’est justement là que les choses se compliquent.

Selon
la direction générale de l’administration et de la fonction publique
(DGAFP), ce sont les Plans de Continuité de l’Activité (PCA) instaurés
le 15 mars dernier dans chaque ministère et/ou structure publique qui
déterminent quels sont les agents qui doivent être impérativement
présents physiquement afin d’assurer le maintien
des activités indispensables.

Aujourd’hui, malgré leurs demandes, les agents et les représentants du
personnel n’ont toujours pas eu communication de ces PCA dont nous ne savons d’ailleurs même pas s’ils existent partout.

Dans les faits, cette définition des
missions essentielles reste imprécise voire incohérente et génératrice d’inégalités de traitement.

A
titre d’exemple, si certains ministères disposent de la licence de
télétravail
CHORUS permettant notamment de payer les fournisseurs à distance, ce
n’est absolument pas, faute de l’équipement informatique nécessaire, le
cas au ministère de la culture. On voit ainsi que la notion de travail
présentiel nécessaire et indispensable à la
continuité du service est toute relative. Au vrai, elle tient dans de
nombreux cas à l’équipement informatique des différents départements
ministériels, pour certains opérationnel, pour d’autres parfaitement
obsolète.

Dans
notre ministère, toutes les mesures de prévention sanitaire et de
protection des agents ne sont pas respectées avec la plus grande
rigueur et nombre de nos collègues sont directement exposés au risque de
contamination et de propagation de l’épidémie touut n’a pas été fait
pour favoriser impérativement le télétravail. Les
mesures sanitaires relatives au travail présentiel n’apportent pas les
garanties suffisantes, faute de moyens et de matériel de protection
adapté.

Pour
l’intersyndicale, il est hors
de question de transiger avec la santé des agents. C’est pourquoi, dans
les prochaines heures, nous allons encore insister auprès de
l’administration pour obtenir des garanties supplémentaires.

Personnels et contrats précaires : comment éviter la catastrophe sociale annoncée

Chacun
sait que la précarité au ministère de la culture est un phénomène
récurrent qui atteint à présent des proportions considérables, et ce en
dépit des nombreuses luttes solidaires menées par les personnels contre
la dérégulation du travail. On ne compte plus hélas les contrats CDD ni
les emplois de vacataires.

Encore
faut-il ajouter à ce tableau peu reluisant le recours systémique
aux prestataires extérieures et aux entreprises sous-traitantes, ainsi
que la montée en puissance des auto-entrepreneurs aux limites de la
légalité.

Pour
le patronat, « l’armée des précaires », hélas le plus souvent invisible
et silencieuse, constitue une variable d’ajustement toute trouvée.
Quand la situation économique se détériore et que le taux de profit
diminue, les salariés les plus précaires sont les premiers à gonfler les
rangs de
Pôle Emploi pour dégraisser la masse salariale et sauvegarder les marges de rentabilité.  

Nous
refuserons bien entendu que ce levier soit actionné avec le cynisme
dont il pourrait être fait preuve ici ou là. Il est de notre
responsabilité syndicale d’attirer expressément l’attention des
autorités ministérielles sur ce point crucial.  

A
l’instar des efforts nécessaires à la protection de tous les agents
et à leur santé, le ministre de la culture et son cabinet doivent
apporter des réponses claires, nettes et précises. Tous les contrats qui
devaient être renouvelés dans la période doivent l’être sans
exception. Faire le choix de priver de revenu des centaines
voire des milliers de personnels précaires serait tout simplement
inacceptable et en totale contradiction avec les propos du président de
la République sur la solidarité et la responsabilité.

Comment
par ailleurs ne pas dénoncer aujourd’hui, toutes ces années de
politiques d’austérité et de coupes claires dans les effectifs des
services publics. La réalité nous saute aux yeux à présent de façon
cruelle. Si l’amertume des agents est grande, qu’aucun dogmatisme ni
aucune mesure brutale et coercitive supplémentaire ne
soient ajoutés au désarroi ambiant. Considérons avec bienveillance mais
aussi avec pragmatisme tout ce que ces personnels précaires apportent
au service public et ce qu’ils lui donneront encore demain et dans les
jours à venir, certainement les plus durs.
Tous les contrats renouvelés aujourd’hui nous permettront de mieux
affronter le pic de la crise et d’en sortir dans les meilleures
conditions.

Toutes les mesures de préservation
des situations économiques et sociales des personnels doivent être mises en œuvre au plus vite.

Chômage partiel, maintien des rémunérations, paiement de l’allocation chômage et des prestations
d’action sociale

Nous
nous devons de rappeler le ministre, son cabinet et l’administration
à leurs obligations quant au chômage partiel des agents de droit privé
et à la garantie du maintien de la rémunération, autre engagement
gouvernemental particulièrement important. Cette demande va de pair avec
celle que nous formulons régulièrement sur le
paiement de l’allocation chômage dans les meilleurs délais.

Idem pour le paiement des prestations
sociales qui connaît déjà un important retard.

Pour une abrogation immédiate du jour de carence

Nous
nous devons de rappeler le ministre, son cabinet et l’administration
à leurs obligations quant au chômage partiel des agents de droit privé
et à la garantie du maintien de la rémunération, autre engagement
gouvernemental particulièrement important. Cette demande va de pair avec
celle que nous formulons régulièrement sur le
paiement de l’allocation chômage dans les meilleurs délais.

Idem pour le paiement des prestations
sociales qui connaît déjà un important retard.

D’autres questions essentielles et urgentes

Pour la suspension ou la prorogation de tous les délais d’instruction prévus par le code du patrimoine
et placés sous le régime du « silence vaut acceptation »

Selon
nos informations, cette mesure indispensable devrait faire l’objet
d’un article dans le projet de loi d’urgence en préparation. Les textes
réglementaires en vigueur aujourd’hui et qui visent à la protection du
patrimoine pourraient paradoxalement, dans la situation de crise que
nous traversons, avoir l’effet inverse et mettre
en péril le patrimoine paysager, monumental, architectural et
archéologique.

Au-delà
des délais d’instruction des dossiers prévus par le Code du Patrimoine
et que nous sommes désormais empêchés de traiter dans les temps, la
clause du « silence vaut acceptation » s’applique et constitue une bombe
à retardement dont il est inutile de qualifier la dangerosité pour
notre patrimoine.

On pourrait débattre longuement de
la qualité et des failles des textes actuels mais l’urgence est à la suspension ou la prorogation.

Interruption totale de la campagne d’évaluation annuelle

Un peu dans le désordre et sans coordination, certains chefs de service
appellent les agents chez eux pour leur proposer, voire leur imposer, une évaluation par téléphone.
L’évaluation est une affaire sérieuse
qui doit se faire en présence des deux parties. Nous demandons au
ministre de donner des instructions très claires visant à surseoir à la
campagne annuelle d’entretiens professionnels jusqu’à
ce que la période de confinement soit levée.

Le télétravail et le travail à distance à l’épreuve de retards d’avenir considérables
et préjudiciables

Favoriser
au maximum le télétravail et le travail à distance pour endiguer
l’épidémie, c’est donc la consigne fixée par le plus haut sommet de
l’Etat. Au ministère de la culture, la mise en œuvre de cette mesure se
heurte à des retards d’avenir considérables.

Faute d’anticipation et d’investissements suffisants, faute d’équipement
à la hauteur des besoins et des évolutions technologiques, notre ministère s’est retrouvé piégé.

Des
responsables hiérarchiques en arrivent ainsi à confondre plus ou moins
de bonne foi les missions essentielles et le travail présentiel comme
pour masquer ces retards technologiques et l’absence de matériel
informatique
ad hoc. C’est ainsi que des agents qui pourraient potentiellement
télétravailler en sont empêchés et sont contraints à se déplacer. 
C’est ainsi que des agents sont exposés inutilement et que les procès de
travail et la chaîne hiérarchique sont profondément
perturbés.

Notre
ministère est sous-doté. Sous-doté en ordinateurs portables, sous-dotés
en clés VPN etc. Nous l’avons vertement et très régulièrement dénoncé.
Aujourd’hui ces erreurs stratégiques imputables à une logique comptable
aveugle se paient très cher. Au ministère, la fracture numérique est une
réalité qui, à titre d’exemples, ne permet
pas le déploiement et l’exploitation complète et ergonomique de CHORUS
ou celle d’ARP ou d’Arpège dans les métiers du patrimoine. Hormis les
agents régulièrement et statutairement en télétravail, ceux travaillant
actuellement à distance avec les moyens du
bord ne peuvent accéder aux serveurs et n’ont donc pas accès à des
dossiers, données et ressources essentiels à leurs missions. C’est le
cas tout particulièrement dans les DRAC et l’on sait pourtant combien la
réforme de l’organisation territoriale de l’Etat
a allongé les distances et augmenté les temps de déplacement.

S’il
est difficile de remonter le temps,
il n’est jamais trop tard pour engager des efforts certes très
importants mais vitaux. Commencer dès maintenant, c’est aussi se
préparer au « retour à la normale ».

Une crise d’autant plus difficile à vivre qu’elle vient souligner nos manquements

Tout
démontre jour après jour que notre pays n’était pas préparé à affronter
de tels événements et que dans de nombreux domaines pourtant relatifs
aux fonctions vitales de la société, nos gouvernants ont été
présomptueux et inconséquents. A force de mentir et d’obérer la réalité
des faits, on nous a exposés sans aucun doute à de terribles
difficultés. Pour tous les concitoyens, le réveil est soudain
extrêmement douloureux.

Le
ministère de la culture n’échappe évidemment pas à ces manquements
politiques, économiques et sociaux. Chaque heure qui passe vient
confirmer que notre ministère est morcelé, fragmenté, forcément très
difficile à manœuvrer et à la peine au moment de dépasser ses divisions
structurelles.

Dans
cette épreuve quasi sans précédent, nous payons très cher la
balkanisation
de notre ministère, la banalisation de la précarité des moyens et des
effectifs, le mépris et la dégradation du dialogue social.

Nous
n’avons eu de cesse de répéter
que ce délitement touche au cœur et au sens même du travail, à la
définition et à la conception des politiques culturelles, aux missions,
et à leur projection et leur inscription dans la réalité sociale et
sociétale. Or ce qui est vrai pour l’organisation
et les conditions de travail en général l’est aussi en matière de
politiques préventives, de principe de précaution et de gestion des
risques, et nous le regrettons amèrement.

Et après ça

Si
dans l’immédiat, nous demandons la suspension de toutes les réformes
en cours, nous avons le devoir de préparer l’avenir en résistant à
l’effet de sidération et au découragement. Il faudra inévitablement
tirer avec lucidité les enseignements de cette crise et ce ne sera pas
chose aisée. Considérant qu’il est inenvisageable
de repartir sur les mêmes bases, il faudra aussi être capable d’assumer
des changements majeurs, profonds et durables.

Dans
le domaine de la culture et pour
le ministère de la culture en particulier, cela passera nécessairement
par le changement de paradigme que nous appelons de nos vœux depuis des
années. La démonstration n’est plus à faire. Pour participer de toutes
leurs forces et dans leurs potentialités inouïes
de création et d’innovation à la construction d’une société plus
solidaire, sociale, écologique, favorisant les communs et la fraternité,
libre et démocratique, le monde de la culture et notre ministère
devront faire leur révolution. Être pleinement partie
prenante de l’essor d’une démocratie culturelle exige d’opérer un
virage à 180 degrés. C’est un magnifique projet de
reprise et nous avons l’intelligence collective, l’expérience, les compétences et les talents pour y parvenir.

 Solidarité avec l’ensemble du monde du travail, avec toutes les travailleuses et les travailleurs
et hommage appuyé aux personnels soignants

Nos
meilleures pensées syndicales et notre soutien ému vont bien sûr
d’abord
et avant tout aux personnels soignants, à l’hôpital et en ville qui,
partout en France, avec un courage et un dévouement admirable et très
souvent hélas dans des conditions déplorables, font face à l’épidémie et
prennent des risques quotidiens pour sauver
des vies.

Nous
voulons aussi exprimer notre solidarité à l’endroit de toutes celles
et ceux qui, le plus souvent sans protections ni garanties sanitaires
suffisantes et au péril de leur santé, continuent à répondre aux besoins
fondamentaux de la population. Ce sont les salariés du commerce, des
transports, de l’agroalimentaire, de la logistique
mais aussi de l’énergie, du nettoyage, de la propreté et de la voirie
etc. qu’il faut saluer. En mesurant pleinement et à quel point des
pratiques managériales d’un autre âge engagent la responsabilité des
employeurs quant à la santé de leurs salariés et à
la propagation du virus.

Le
moment venu, nous devrons revenir sur la question du travail en France
et en Europe au XXIe siècle, mais d’ores et déjà il est indispensable
de dire et de redire que des professions et des métiers méprisés,
déconsidérés et maltraités participent tout au long de l’année de
services vitaux et d’une façon certaine de l’effort de
service aux publics, et ô combien à la richesse et à l’épanouissement
d’une société toute entière.

Naturellement
notre solidarité et notre
soutien vont aussi tout droit aux professionnels et aux salariés de la
culture extrêmement fragilisés : artistes-auteurs, salariés et
professionnels du cinéma et de l’audiovisuel, de la presse, de la
musique, du spectacle vivant, du livre et des arts plastiques
– et nous pensons tout particulièrement aux intermittents – pour
lesquels le ministre de la culture a annoncé un plan de soutien. Nous
aurons l’occasion de revenir dans une expression spécifique sur ce
dossier sensible, complexe et évidemment déterminant pour
l’avenir de la création et de la culture dans notre pays et, ne
l’oublions pas non plus, pour la relance de notre économie.

Une intersyndicale
à vos côt
és et pleinement disponible

L’intersyndicale, qui travaille également en mode confiné, reste pleinement mobilisée pour vous
défendre. Outre des échanges réguliers par mél, un point téléphonique hebdomadaire a été mis en place.

Afin
de ne pas rompre le dialogue social, un échange téléphonique
organisations syndicales/secrétaire
générale et directeurs généraux a également été demandé. La secrétaire
générale en a accepté le principe et une première conférence
téléphonique aura lieu dès cet après-midi.

Nous revendiquons qu’un dialogue comparable soit mis en place au niveau de chaque établissement
et service déconcentré.

 Nous
demandons en outre à l’administration et aux responsables
hiérarchiques de permettre et d’organiser des conférences téléphoniques
pour maintenir les liens et renforcer les solidarités entre les
personnels.

A toutes et tous, courage, force et espérance dans
l’avenir. Prenez soin de vous et de tous ceux qui vous sont chers

Paris, Mantes, Amiens, Chelles, Ajaccio, le 20 mars 2020