Action Publique 2022
Pour contrer l’opacité qui règne au sein du Ministère de la Culture, heureusement, des lanceurs/ses d’alerte existent ici, comme ailleurs. Même si Emmanuel Macron n’a pas manqué de fustiger les fonctionnaires « déloyaux » qui refusent d’obéir avec servilité, même si la Françoise Nyssen entend une nouvelle fois se ridiculiser en portant plainte contre un « délit d’information », nous pouvons compter sur celles et ceux qui se font un honneur d’alerter les citoyen-nes sur ce qui se trame dans notre dos.
À la lecture de la lettre du cadrage adressée le 26 septembre par Édouard Philippe à ses ministres et secrétaires d’état, déclinant les fondamentaux du programme « Action Publique 2022 », nous avions anticipé les nouvelles attaques à venir contre la Fonction publique en général et contre la culture en particulier. La composition du Comité Action Publique, mêlant la fine fleur des expert-es de l’ultralibéralisme : économistes de l’ancienne commission Attali, ami-es plus ou moins proches d’Emmanuel Macron (énarques, banquier-es, créateurs/trices d’entreprises numériques, représentant-es de grands groupes immobiliers…) et excluant tout responsables des services publics, syndicalistes, associations d’usager-es, nous révèle bien ses objectifs : casser et privatiser ce qu’il reste des services publics. Les scénarios annoncés auront de quoi réjouir les anciens promoteurs de ces politiques mortifères : Sarkozy en a rêvé, Macron l’a fait !
L’intersyndicale Culture avait demandé la convocation d’un Comité de l’Administration centrale pour que celle-ci daigne nous présenter la méthode, le calendrier et les incidences sur la gestion des emplois d’« Action Publique 2022 ». En guise de document de travail, l’administration nous a envoyé un diaporama aseptisé reprenant les grandes lignes de la lettre du cadrage d’Édouard Philippe. Fort heureusement, entre-temps, nous avions pris connaissance de cette désormais fameuse « contribution du Ministère de la Culture aux travaux du CAP 2022 » (datée du 3 novembre), oh combien révélatrice, qui a « fuitée » dans la presse. C’est donc fort de ces informations que nous avons participé au comité technique convoqué ce 16 novembre. Étant entendu qu’il n’était pas question pour SUD Culture de se contenter de propos aussi lénifiants qu’indigestes. Mais bien que l’on nous explique qui avait rédigé et validé un document qui vise essentiellement à réduire toujours plus la voilure du ministère.
Prise les doigts dans le pot de confiture, l’administration ne nous a pas fait l’affront de l’ignorer. Mais, comme nous y attendions, le secrétaire général nous a ressorti le discours convenu de ses prédécesseurs qui n’ont eu de cesse, depuis les Stratégies Ministérielles de Réforme de la fin du XXe siècle, la Lolf, les transferts de missions aux collectivités locales, les deux RGPP, la MAP, la Revue des missions, les mesures de simplification, la réforme territoriale, de s’attaquer aux effectifs et aux missions de notre ministère. Il s’agit de moderniser et redonner du sens à l’action publique tout en faisant des économies. Il n’a eu de cesse de nous répéter que ce document était incomplet et tronqué et qu’en aucune manière, on ne pouvait le qualifier de document idéologique. C’est tout juste s’il ne nous a pas vendu AP 2022 comme une session de rattrapage à la RGPP. Vous voyez bien que le ministère ne fonctionne pas bien, il nous faut bien une réforme de plus.
Ah bon ? Un projet qui s’appuie sur les suppressions de postes, les transferts aux collectivités territoriales, l’autonomie accentuée des établissements publics, la destruction de pans entiers de nos archives pour ne conserver que celles-dites « essentielles », des « gains » budgétaires, pour pouvoir répondre au sacro-saint dogme de la maîtrise des dépenses publiques,.. tout ceci ne serait pas idéologique. Ah, oui pardon, ce n’est ni de gauche ni de droite. C’est « normal » comme aurait pu le dire un ancien président de la République.
Pour Sud Culture, cette « contribution », loin d’être « tronquée », répond bel et bien à la commande du gouvernement qui veut imposer de nouvelles orientations à toute la fonction publique. L’administration aura beau habiller ses propositions du verbiage habituel « recentrer l’administration centrale », « élargir les publics », « améliorer l’efficacité opérationnelle », « offrir aux agents publics un environnement de travail modernisé » nous sommes depuis longtemps vaccinés contre l’usage de cette novlangue technocratique.
Pas un mot sur le dialogue social mais une démarche qui relève d’un rare cynisme : « conditions de succès : annonce rapide de la stratégie de transformation » peut-on lire ! Comme pour la « réforme » du code du travail, il faut aller vite, ne pas laisser le temps aux agents de s’organiser. Le calendrier infernal exigé par le premier ministre est ridicule : les propositions pour repenser notre ministère doivent être bouclées pour mars 2018 et la ministre devra présenter son plan de transformation d’ici l’été 2018. À l’évidence, il ne s’agit pas de tirer des enseignements des réformes passées, de s’appuyer sur les rapports dûment argumentés de l’IGAC, encore moins favoriser la qualité de vie au travail et œuvrer pour un meilleur service rendu à l’usager-e citoyen-ne.
En appelant à notre responsabilité, le secrétaire général nous a proposé « de travailler en commun pour éviter qu’un autre scénario, autrement plus dur, nous soit imposé ». En clair, acceptons de nous couper ensemble un bras avant que le gouvernement nous coupe les deux !
Promis-juré, le plan de transformation ministériel sera travaillé avec les agent-es et leurs représentant-es. Des marges de négociation existant, ce document « officieux » sera bien évidemment amendé. Sur les questions précises des suppressions d’emplois et des chiffres annoncés, là aussi, tout est en discussion. Ne vous inquiétez pas, chères organisations syndicales, chers agent-es, nous allons vous écouter, il se peut que nous ne soyons pas d’accord à la fin mais nous vous aurons écouté.
Pour mieux nous entendre, la ministre, « qui est très pragmatique », fera une intervention lors du prochain CTM du 4 décembre. Ce sera le top départ de la concertation. Lors du premier trimestre, des groupes de travail thématiques seront réunis. Ceux-ci s’empareront des « réformes » proposées : Archives (comment archiver moins et rendre moins coûteuse la politique des Archives), Musées (qui veut de mon SCN : EP ou Collectivité ?), RH (après la centralisation de la paie, réfléchissons à sa déconcentration et enfin le SRH qui pourra mettre en place la GPEEC), Création (la sélectivité des aides à la création et la réinterrogation des cahiers des charges validés il y a un an avec la LCAP)…
C’en est assez ! Nous n’allons pas rester sidéré-es face à ce projet de casse du ministère !
À chaque changement de ministre, sa prétendue « modernisation ». Les agent-es sont épuisé-es de subir ces réformes technocratiques enrobées sous couvert de meilleur service au citoyen et d’une meilleure attention aux attentes du public.
Oui, madame la ministre, il nous faut enfin une vraie réforme qui prenne en compte les conditions de travail des agent-es, leurs rémunérations, leurs missions.
Un service public de la culture, ce n’est certainement pas vider ce ministère de tout sens et transformer votre administration centrale en simple machine à compter.
Un service public de la culture, ce n’est pas essayer perpétuellement de nous faire comprendre que les agent-es de la fonction publique sont un poids pour les finances publiques et que, sans elles et eux, le pays fonctionnerait tellement mieux.
Un service public de la culture, ce n’est pas confier ses clés à tous ceux qui ne rêvent que d’en externaliser ou privatiser ses missions pour en tirer de futurs profits ; ce n’est pas en confiant aux boites privés les nécessaires politiques de numérisation, gages de futurs juteux contrats ; ce n’est pas en confiant la sauvegarde du patrimoine à un Stéphane Bern dont l’incompétence s’ajoute à sa capacité à injurier systématiquement, sans que vous y trouviez à redire, les agent-es du ministère et des DRAC.
Un service public de la culture, en ces temps troublés, comme vous l’avez exprimé, c’est un gain pour la société.
Alors, ne multipliez pas les discours creux sur le nécessaire « développement d’un dialogue social de qualité basé de l’écoute et l’échange », la nécessité de « travailler sur le temps long » et patati et patata1…
Mettez enfin vos paroles en accord avec vos actes ! À défaut, vous romprez définitivement le lien, déjà fortement fragilisé avec les agent-es de ce ministère. N’en doutez pas, elles et ils ne se contenteront sûrement pas de répondre épisodiquement à un questionnaire dit du « baromètre social » qui ne saurait tenir lieu de politique sociale !
SUD Culture Solidaires, le 20 novembre 2017.