Résolution d’orientation générale
3ème congrès de SUD CULTURE
(19-20 janvier 2006)
RÉSOLUTION d’ORIENTATION GÉNÉRALE
Adoptée par le congrès
(40 pour ; 5 abstentions ; 1 contre)
* * *
I / REFUSER LA SOCIETE "GLOBALITAIRE" QU’ON
VEUT NOUS IMPOSER
I.1. Pour l’essentiel, nous vivons dans le monde que
nous décrivions il y a trois ans, lors du 2ème congrès
de SUD Culture : plus que jamais, la mondialisation libérale
et financière tend à s’ériger comme seule
politique économique possible pour l’ensemble de l’humanité et
comme source principale de la constante dégradation des conditions
de vie et de travail des femmes et des hommes du monde entier.
Depuis, nous assistons :
- d’une part, au renforcement de la politique d’hégémonie
des Etats-Unis sur l’ensemble des pays de la planète,
renforcement incarné en particulier avec la guerre et la
campagne d’occupation de l’Irak à partir de
2003-, menée au mépris du cadre international commun
qu’est l’ONU, bien que ce cadre soit imparfait et démontre
les limites de cette institution ; - d’autre part, à la montée en puissance du
mouvement altermondialiste (avec notamment la multiplication des
Forums sociaux déclinés par continents, pays, villes,
etc.) Mais ce pôle de riposte des peuples est encore aujourd’hui
bien trop fragile, trop éclaté politiquement, idéologiquement
et socialement pour pouvoir, à lui tout seul, donner un
coup d’arrêt à- ou, à tout le moins,
infléchir – la déferlante néocapitalisteà l’offensive
dans un nombre toujours plus grand de pays au Nord, mais aussi
de plus en plus au Sud.
I.2.Comme l’a rappelé le 3ème congrès
de Solidaires (décembre 2004), “ La mondialisation
est le produit des règles qui président au fonctionnement
du système capitaliste. Son caractère libéral
et son accélération résultent d’un choix
social, politique et idéologique imposé par les classes
dominantes, relayé par les gouvernements des principales puissances
et orchestré par les grandes institutions internationales.
Cette globalisation du capital a été permise par la
destruction progressive des bornes mises à son expansion après
la seconde guerre mondiale. La déréglementation financière
impulsée par les gouvernements, la libre circulation des capitaux,
caractéristiques majeures du capitalisme contemporain, ont
permis la constitution d’un capitalisme dominé par la
finance dont la norme de rentabilité est maintenant fixée
par les marchés à l’échelle mondiale et
qui vise à transformer toutes les activités sociales
et la vie elle-même en marchandises. Dans ce cadre, le développement
du libre-échange est un enjeu majeur pour l’ouverture
de nouveaux marchés aux firmes transnationales. Si le capitalisme
produit historiquement ses propres crises, l’existence de crises
financières, notamment d’origine spéculative,
est une des marques de sa phase actuelle. Le problème est
moins l’existence de ces crises, que de leur contrôle
par le système pour éviter les effets en chaîne.
D’où l’importance que prennent le FMI et la Banque
mondiale, comme assureurs en dernière instance, le rôle
des "grands prêteurs" comme les Etats-Unis et le
Japon et les mesures prises par les Etats pour limiter les effets
des crises boursières.
“ Cette modification des règles du jeu capitaliste
a eu au moins quatre conséquences : elle a permis une remise à plat
de la division internationale du travail, les grandes entreprises
pouvant réorganiser leurs filières productives à l’échelon
mondial ; elle a facilité les opérations de concentration
ou de fusion à une échelle internationale ; elle a
renforcé le poids économique et politique des grandes
institutions financières (banques, fonds de pension…) dont
les activités parfois purement spéculatives n’ont
pas été sans effet sur la redistribution des cartes
industrielles ; elle a participé à l’évolution
du rapport des forces entre capital et travail en facilitant la poursuite
d’objectifs de rentabilité à court terme, la
pseudo “création de valeur” par des manipulations
sur le marché des valeurs mobilières par exemple. La
globalisation financière a ainsi redessiné les enjeux
du conflit entre salariés et patronat.
La mondialisation libérale s’est accompagnée
d’un rôle de plus en plus étendu des grandes institutions
internationales. Ou bien elles exercent (comme le fait l’OCDE)
une sorte de magister idéologique en fixant les règles
de conduite auxquelles doivent se conformer les Etats. Ou elles assurent
un droit de contrôle sur les politiques économiques
menées par les pays contraints de se soumettre à leur
tutelle (Banque mondiale ou FMI). Ou enfin elles se réservent
une fonction de juge chargé de sanctionner les manquements
aux normes du libre échange (l’OMC)… Toutes poussent à déréglementer, à ouvrir
tous les secteurs à la concurrence, à privilégier
l’initiative privée. C’est le cas aujourd’hui
avec le projet porté par l’OMC d’Accord Général
sur le Commerce des Services (AGCS) qui répond totalement à la
stratégie de conquête de nouveaux marchés menée
par les firmes multinationales. Il vise à assurer l’hégémonie
des transnationales et en même temps signifierait le démantèlement
des services publics et la marchandisation de tous les aspects de
la vie humaine. D’autant que ces organisations n’ont
aucune légitimité car elles n’ont pas été élues
démocratiquement. ”
Contre une culture "Mc World" :
la culture n’est pas une marchandise
I.3. La culture n’est pas un bien comme les autres,
susceptible d’être régie par les seules lois du marché et
de la concurrence, affirmions-nous lors de notre 2ème congrès
de SUD Culture en décembre 2002.
C’est parce que nous croyons – avec beaucoup d’autres
– que la culture ne saurait être réduite à un
produit marchand que nous refusons cette Europe capitaliste et libérale.
Nous devons mener la bataille contre l’uniformisation et la standardisation
du monde incarné notamment dans le projet de constitution
européenne, afin de préserver la diversité de
la création culturelle. L’enjeu est autant politique
qu’économique.
I.4 L’avènement de la mondialisation culturelle,
définie par la circulation des produits culturels à l’échelle
du globe, n’est qu’un des nombreux aspects actuels du développement
capitaliste industriel et de la mondialisation libérale et
financière.
I. 41.La concentration rapide à laquelle nous avons assisté ces
quinze dernières années dans le secteur de la culture
et de la communication a des répercussions directes sur les
mutations de la vie culturelle dans le monde entier.
I. 42. Dans le domaine des industries culturelles (cinéma,
audiovisuel, musique, édition,…) quelques entreprises
internationales ettransnationalesde la communication sont aujourd’hui
en mesure de contrôler les contenus, les conditions de production
et les canaux de diffusion des œuvres. Les exigences de rentabilité de
leurs actionnaires n’incitant pas à la prise de risque,
ces entreprises saturent l’offre culturelle avec un nombre
limité de produits appuyés par d’énormes
campagnes de marketing. C’est pourquoi il convient de dénoncer
la domination et le contrôle de la quasi-totalité des
secteurs de la culture, de l’information et de la communication
par ces nouveaux maîtres du monde que sont les grands groupes
de communication comme AOL-Time Warner, Viacom, News Corporation,
Microsoft, Bertelsmann, Lagardère, etc. On assiste en Europe,
et en France en particulier, à un processus de concentration
identique dans ce domaine.
I. 43. A l’instar de toutes les industries, la seule ambition
de ces empires tentaculaires, aux ramifications complexes, est de
conquérir des parts du marché mondial aussi bien au
Sri Lanka, en Zambie qu’aux Etats-Unis… Pour atteindre cet
objectif, elles entendent marier Internet, télévision,
câble, cinéma, musique, édition, etc. et concentrer à la
fois production, diffusion et promotion. Cette concentration, inhérente à l’économie
capitaliste, tend, dans le domaine culturel comme ailleurs, à faire
s’aligner l’ensemble des industries concernées sur un
modèle unique, celui des Etats-Unis
I. 44. Une illusion de diversité culturelle subsiste encore
grâce à de petits producteurs ou distributeurs indépendants,
ainsi qu’avec des niches commerciales entretenues par ces grandes
entreprises dans le domaine de la culture élitaire ou dans
celui d’une culture identitaire sans prise avec le monde.
I. 45. Il reste que :
- la majorité des œuvres qui dominent le marché sont
formatées selon des critères commerciaux qui limitent
la diversité des contenus et concourent à la diffusion
d’un mode de représentation du monde, d’un mode
de pensée et d’un mode de vie qui tendent à s’uniformiser. - Le dialogue entre cultures est biaisé dès lors
qu’un modèle culturel dispose des moyens économiques
pour dominer les autres propositions. Si pour susciter une rencontre
fructueuse entre les cultures, l’esprit de coopération
doit prévaloir sur une logique de concurrence, l’obsession
de l’ouverture des frontières commerciales inhérente à la
mondialisation libérale dénature la notion d’échange
culturel.
- En occupant largement le champ symbolique avec des œuvres
sensées s’adapter à tous les consommateurs
de la planète, des œuvres qui brouillent la mémoire
et la mise en perspective historique, qui ne marquent aucun attachement à un
territoire donné, qui privilégient la sensation immédiate
sur l’analyse et la distance critique, les industries culturelles
préparent les conditions de véritables drames historiques.
I. 46. Jusqu’à présent, ces tendances très
inquiétantes étaient contenues par les politiques des
Etats qui, en vertu du principe d’exception culturelle accepté provisoirement
lors du dernier accord du GATT en 1993, conservaient la possibilité de
protéger leur patrimoine et de soutenir leur création.
Les subventions comme les quotas ou les systèmes de prélèvement
sur les ventes de produits culturels pour alimenter des fonds de
soutien à la création sont un gage de diversité et
donc de pluralisme.
I. 47. Par ailleurs, les biens et services culturels n’étant évidemment
pas réductibles à de simples marchandises – pas
plus que l’éducation, la santé ou l’eau
-, ils ne sauraient faire l’objet de négociations dans
le cadre de l’OMC. Afin de promouvoir la diversité culturelle
il est alors urgent qu’un nombre significatif d’Etats
donnent naissance par une convention internationale à un instrument
juridique international spécifique et contraignant qui permette
d’exclure la culture d’une logique capitaliste de libéralisation
et de marchandisation.
Cet instrument, déjà évoqué dans les
résolutions sur la diversité linguistique et culturelle
du deuxième Forum Social Mondial de Porto Alegre en février
2002, pourrait aussi être assorti d’un fond de solidarité en
faveur de la création et de la diffusion des œuvres
issues des zones les plus défavorisées de la planète.
L’Unesco, l’Organisation Internationale de la Francophonie,
le Réseau International sur la Politique culturelle (RIPC)
se sont déjà prononcés pour la création
d’une instance distincte de l’OMC. Le Conseil de l’Europe,
l’U.E. et tous les Etats qui les composent doivent jouer un
rôle moteur pour l’aboutissement de ce projet.
I.5 A terme, ce processus de culture "globale",
loin de favoriser une indispensable rencontre des cultures à l’échelle
de la planète dans le respect de l’autonomie culturelle
et de l’identité collective des peuples, tend à la
suppression des particularismes et des identités collectives
locales. Il conduit à l’abolition de la pluralité des
codes culturels, des grilles historiques et idéologiques à travers
lesquels les hommes appréhendent les événements
et le monde.
I.6 Dans le cadre de cette tendance dominante à la
standardisation des marchandises culturelles, on assiste, aussi bien
sous l’angle de la production des biens et des services culturels
que sous celui de la réception et de la consommation culturelle, à une
hégémonie des pays industrialisés du triangle
Amérique du Nord – Europe – Asie riche. Dans le même
temps, dans les pays les moins développés, seules les
couches les plus aisées ont accès, , au marché des
biens culturels. Il s’agit donc bien essentiellement d’un échange
entre privilégiés.
Une offensive libérale tous azimuts
I.7 Par ailleurs, les produits culturels n’échappent
pas au phénomène de globalisation financière
qui marque l’économie mondiale depuis une vingtaine d’années ; livrés
aux lois du marketing et régis par une course effrénée
aux gains de productivité, ils perdent leur spécificité pour
ne plus représenter que des actifs valorisables à long
terme ou susceptibles de générer des plus-values de
cession à court terme.
I.8 Pour satisfaire son appétit, le marché,
après avoir bien digéré la culture de masse,
entend désormais remplacer l’idée et le secteur de "l’industrie
culturelle" – dans lesquels la création peut cohabiter
encore avec “ l’efficacité capitaliste ” –
par l’idée et le secteur de "l’industrie du loisir".
Cette dévalorisation symbolique d’une partie de la production
artistique – la plus accessible au "grand public" – constitue
une réelle offensive idéologique.
I.9 Dans ce processus général de marchandisation,
le domaine de la culture (comme c’est également le cas
pour l’éducation, la santé, l’énergie…)
attise désormais toutes les convoitises. Ainsi, les mesures
que tente aujourd’hui d’imposer l’OMC, à travers
l’Accord Général du Commerce des Services (AGCS),
impliqueraient la fin même de la notion de service public culturel
et la transformation de pans entiers de celui-ci, tels les musées,
en de simples activités de loisirs qui, à ce titre,
seraient livrés au secteur privé.
De ce point de vue, si l’on ne peut que souhaiter la mise
en place d’une bibliothèque virtuelle universelle, et
voir prendre enfin forme le rêve fou, né à la
fin du XXe siècle, de réunir tous les savoirs du monde
et les rendre accessibles gratuitement sur la planète entière,
on ne peut, en revanche, que nourrir les plus vives inquiétudes à l’égard
du projet Google Print de bibliothèque patrimoniale mondialevirtuelle,
initié par la société américaine Google – premier
moteur de recherche sur Internet au monde. S’il devait voir
le jour en l’état, ce projet accentuerait de manière
décisive l’emprise de la logique marchande sur le patrimoine
littéraire, la recherche scientifique et la diffusion des
savoirs.
I.10 Cette démarche s’inscrit dans une logique libérale
qui cherche à récupérer au seul profit des entreprises
privées l’ensemble des activités humaines potentiellement
rentables.
Cette spoliation est relayée à l’échelle
planétaire par les grandes institutions internationales (Organisation
mondiale du Commerce (OMC), Fonds Monétaire International
(FMI), Banque Mondiale…). Celles-ci imposent progressivement
cette pensée unique à l’ensemble de la planète
– décidant ainsi, sans la moindre légitimité,
du sort de ses quelques six milliards d’habitants.
Cette offensive libérale à l’échelle
planétaire est favorisée par une mainmise chaque jour
plus importante des grands groupes financiers sur les moyens de communication
et d’information. Cette situation hégémonique
concourt pleinement à la diffusion de la pensée unique.
Cette situation hégémonique concourt pleinement à la
diffusion de la pensée unique.
I. 11 Loin d’être des remparts face au marché,
les Etats participent pleinement à cette casse généralisée
en mettant en œuvre des politiques principalement dictées
par les préceptes de cette idéologie dominante. Les
politiques publiques de la culture sont elles aussi gangrenées
et désormais, bien plus que de véritables enjeux sociétaux,
ce sont bel et bien des considérants purement gestionnaires
et des critères mercantiles qui dictent de plus en plus souvent
les politiques culturelles au niveau de leurs différents responsables.
1.12 La notion d’exception culturelle dans les relations internationales
a été introduite, sur proposition de la France, à l’occasion
des négociations du GATT, dans les années 90, lorsque
se posa la question de savoir si la libéralisation des échanges
– et plus tard, avec l’AMI (Accord multilatéral sur l’investissement),
des investissements – devait s’appliquer aux biens et services culturels.
La demande de libéralisation émanait et émane
toujours des Etats-Unis, premiers producteurs de biens et services
culturels, notamment audiovisuels.
La France, appuyée par d’autres pays tel le Canada, s’est
inquiétée devant le risque d’envahissement de son territoire
par ces “ produits ” américains, non
seulement pour des raisons économiques (notre balance commerciale était
déjà fortement déficitaire), mais pour des raisons
culturelles et identitaires, le danger étant de voir progressivement
les habitants de notre pays adopter les manières de penser
et de vivre imposées par les grands groupes américains
(et relayés par les grands groupes européens) .
Dans les accords du GATS (Accords sur le commerce des services)
en 1993, la France avait obtenu une demi-satisfaction. Certes les
biens et services culturels n’étaient pas exclus du champ
de la négociation, mais l’Union européenne, adoptant
les thèses françaises, refusa de faire une offre de
libéralisation qui aurait autorisé l’ouverture de son
marché et l’application à tous du traitement national.
C’est ce que l’on appela “ l’exception culturelle ”.
Cette non-libéralisation a permis depuis lors à la
France et à l’Europe de conserver leurs politiques nationale
et européenne de quotas de diffusion (à la télévision
et à la radio) et d’aides financières (à la
production et à la distribution) pour protéger en particulier
l’industrie cinématographique française.
Après l’échec de l’AMI en décembre 1998 à l’OCDE, échec
très largement motivé par les inquiétudes des
milieux culturels face à une libéralisation excessive
et mal conçue des investissements, la question s’est de nouveau
posée lors des négociations de l’OMC, fin novembre
1999 à Seattle, aux Etats-Unis. Elles ont vu l’offensive américaine
concernant la libéralisation dans les nouveaux services audiovisuels,
par exemple ceux liés à l’Internet comme le commerce électronique,
etc.
I.13 Aujourd’hui, au sein de l’Union européenne, à l’UNESCO
comme à l’OMC, on ne parle plus d’exception culturelle
(l’expression étant considérée comme trop négative
et restrictive…. par les Etats Unis), mais de diversité culturelle,
l’objectif étant d’éviter l’uniformisation du monde
en préservant la diversité des cultures comme on le
fait en défendant la biodiversité pour conserver la
diversité des espèces. La diversité culturelle
est donc d’abord un enjeu politique fondamental pour l’avenir des
sociétés d’un bout à l’autre de la planète.
C’est aussi, bien évidemment, un enjeu économique.
Les biens et services culturels ne sont pas, ne sont plus des activités
secondaires, en quelque sorte marginales par rapport à l’agriculture, à la
grande industrie ou aux services financiers. Au contraire,
tout concourt à faire un secteur particulièrement dynamique.
D’un côté, les nouvelles technologies multiplient
les moyens de transmission de l’image et du son (par exemple le numérique).
De l’autre côté, l’évolution des modes de vie
(allongement de la vie, etc.) conduit de plus en plus de personnes à développer
des activités culturelles de loisirs. Bref, tout ce qui touche
aux “ tuyaux ”, c’est-à-dire aux appareils
de production et de transmission de l’image et du son se développe à grande
allure. Il en est de même de la production des “ contenus ”,
films, téléfilms, disques… Les chiffres d’affaires
des grandes entreprises de ce secteur donnent le vertige. La diversité culturelle
n’est donc pas tant la possibilité offerte aux peuples
de développer leurs propres cultures mais de garantir la diversité de
l’offre – notamment marchande – culturelle.
I.14 Ne nous y trompons pas : la diversité culturelle
conçue par les majors vise avant tout à accroître
et généraliser à toute la planète la
consommation de produits standardisés et par là même
renforcer la prééminence des industries culturelles
nord-américaines. En 2004, la culture était unposte
important d’exploitation des États-Unis. L’accusation
d’“ impérialisme culturel ” à leur
encontre est par conséquent largement fondée.
A la notion de diversité culturelle dont se prévalent
aujourd’hui les tenants de la marchandisation de la culture
et les industries audiovisuelles, qu’elles soient américaines,
européennes ou françaises, nous opposons le principe
de la pluralité des cultures pour signifier notre
attachement à l’existence de différentes cultures au
sein de toutes les sociétés de par le monde et promouvoir
cette diversité.
I.14 bis C’est la raison pour laquelle l’adoption, le
20 octobre 2005, par la 33ème conférence
générale de l’UNESCO(1) d’une
convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle
par 148 voix contre 2 (Etats-Unis et Israël) et 4 abstentions
(Australie, Nicaragua, Honduras, Libéria) – c’est-à-dire
malgré l’opposition frontale des Etats-Unis – constitue une
avancée.
Mais il ne faudrait pas croire pour autant que cette convention
(comme celle signée à Kyoto sur l’environnement)
sera suffisante pour protéger la culture contre les offensives
de l’Organisationmondiale du commerce (OMC) – offensives
soutenues, si ce n’est commanditées, par les Etats-Unis.
Car la dernière mouture du texte, qui a permis un si large
consensus, résulte d’un compromis qui a laissé une
grande partie des professionnels très critiques voire mécontents.
On est en effet passé de l’impératif “ les
Etats doivent ” à l’optionnel “ les
Etats peuvent ”, interdisant ainsi tout caractère
contraignant à la convention, même si cette dernière
reconnaît le droit souverain des Etats “ d’adopter
des mesures et des politiques pour protéger et promouvoir
la diversité des expressions culturelles sur leur territoire ”.
Il y a malheureusement fort à parier que cette convention
ne sera pas l’outil juridique adéquat, à l’heure
de la mondialisation libérale et financière, pour faire
respecter le principe que nous défendons à SUD Culture, à savoir
que “ la culture n’est pas une marchandise ”.
Certes, l’article 20 stipule que la convention n’est
pas “ subordonnée ” aux autres traités.
Mais, en même temps, il est précisé que “ rien
dans la présente convention ne peut être interprété comme
modifiant les droits et obligations des parties au titre d’autres
traités aux quelles elles sont parties ”. Il y
a là une contradiction dont on ne doute pas que les opposants à cette
convention (Etats-Unis et OMC en tête) pourront tirer profit.
Néanmoins, malgré ces réserves, malgré ces
limites, ce texte, de portée symbolique universelle, constitue
un pas en avant important. En particulier, lorsqu’il retient
– pour la première fois dans un texte de caractère
international- les “ expressions culturelles, indépendamment
de la valeur commerciale ”, fait référence
aux “ modes de création artistiques ” et
affirme “ la nature spécifique des activités,
biens et services culturels en tant que porteurs d’identité,
de valeur et de sens ”.
I.15. La mise en œuvre du principe de la pluralité des
cultures, tel que nous l’entendons, vise à combattre
le rouleau compresseur des industries culturelles (notamment audiovisuelles)
qui, sous couvert de diversité culturelle, vise à imposer
son contraire, l’uniformité culturelle par :
- la disparition de nombreuses langues et dialectes ;
- la menace de disparition des traditions de populations dans de
nombreux endroits de la planète (Nouvelle-Zélande,
régions côtières en Australie, Amérique
du nord, pays d’Amérique centrale…) ; - l’imposition de l’anglo-américain comme langue
universelle unique. Or, le pays qui impose sa langue et donc sa
culture impose également un modèle, une façon
de voir les choses.
I.16. La défense de la pluralité culturelle passe
par :
- la promotion d’actions en faveur de “ minorités
culturelles ” ; - la préservation de “ minorités culturelles ” menacées
de disparition ; - la spécificité des productions et services culturels,
spécificité reconnue entre autres par l’Union européenne
dans sa Déclaration sur la diversité culturelle.
Dans cette optique de lutte contre la marchandisation de la culture,
l’objectif est de défendre et de soutenir par l’action du
service public, toutes les initiatives, -publiques ou citoyennes,-
contribuant à l’épanouissement de la créativité culturelle ; - la défense des droits culturels auxquels toutes et
tous doivent avoir accès sans entrave aucune ; - la résistance à l’uniformisation culturelle
et au monopole de l’anglo-américain, et notamment
en développant l’utilisation dans les échanges
internationaux d’une langue qui n’appartient à aucun
peuple et donc à tous : l’esperanto.
I. 17. La mise en œuvre de ce principe de pluralité des
cultures, tel que nous l’entendons, vise également à dépasser
la notion d’exception culturelle française. Dans les faits,
l’exception culturelle consiste plus en une défense des industries
culturelles nationales vis-à-vis d’une "industrie américanisée",
en particulier pour la musique et le cinéma, considérée
comme dangereuse pour la "diversité culturelle",
que d’une véritable défense des arts, de la création
artistique et de la pluralité culturelle.
I. 18. Compte tenu des dangers qui pèsent aujourd’hui
sur la vie culturelle et sur le pluralisme il faut donc :
1) réaffirmer que la pluralité culturelle faisant
pleinement partie du patrimoine commun de l’humanité,
le droit à la pluralité/diversité culturelle
doit être considéré comme un droit de l’homme.
2) reconnaître aux Etats le droit d’agir dans le domaine
de la culture, de protéger leur patrimoine et de soutenir
leur création par les moyens de leur choix, comme l’a
stipulé la convention de l’UNESCO : ces mesures
de politique culturelle ne peuvent être négociables
dans les instances commerciales internationales.
I. 19 Au-delà des propositions à caractère
institutionnel se pose la question des orientations générales
de la politique culturelle.
La priorité n’est pas de soutenir par les politiques
publiques des œuvres dont l’ambition est de concurrencer
les produits culturels dominants sur des registres commerciaux et
esthétiques similaires.
Elle ne doit pas non plus orienter massivement les moyens de politique
culturelle vers la création et la diffusion d’œuvres
qui confortent la culture dans une fonction d’instrument de
distinction et de reproduction sociale.
La recommandation qui s’adresse aux Etats et aux collectivités
territoriales est de promouvoir une vie artistique et culturelle
qui ne maintienne pas systématiquement les destinataires des œuvres
dans une attitude passive. Le renforcement d’une relation active
entre l’art et la société suppose que de nombreux
artistes soient soutenus dans leur désir de réinvestir
des espaces de vie où s’inventent de nouvelles formes
et où peuvent se concrétiser de nouveaux types de liens
sociaux. Cette orientation, qui est le meilleur antidote aux effets
nocifs de la culture commerciale de masse, offre à la fois
des opportunités de renouvellement esthétique, de régénérescence
de la créativité populaire, et de revitalisation d’une
politique citoyenne.
SUD Culture lutte pour promouvoir une vie artistique et culturelle
qui ne maintienne pas systématiquement les destinataires des œuvres
dans une attitude passive. Le renforcement d’une relation active
entre l’art et la société suppose que de nombreux
artistes soient soutenus dans leur désir de réinvestir
des espaces de vie où s’inventent de nouvelles formes
et où peuvent se concrétiser de nouveaux types de liens
sociaux. Cette orientation, qui est le meilleur antidote aux effets
nocifs de la culture commerciale de masse, offre à la fois
des opportunités de renouvellement esthétique, de régénérescence
de la créativité sociale et de revitalisation politique.
Imposer un autre monde
I. 21. Le combat que nous menons contre la marchandisation
mondiale de la culture est primordial car il ne s’agit pas seulement
de commerce et d’industrie. Le combat que nous menons contre la marchandisation
mondiale de la culture est primordial car il ne s’agit pas seulement
de commerce et d’industrie. Quelque chose de beaucoup plus profond
est en cause à l’échelle de la planète, il s’agit
de l’identité des peuples et des individus., et ce à l’échelle
de la planète.
Face à la mondialisation économique, financière
et culturelle qui tend à uniformiser les idées et les
modes de vie sous l’influence du modèle américain,
SUD Culture combat aux côtés de tous ceux qui éprouvent
angoisse et colère devant la menace qui pèse sur ce à quoi
ils sont attachés au plus profond d’eux-mêmes et sera
force de proposition pour ces combats.
I. 22. En finir avec cette mondialisation culturelle-là,
synonyme de standardisation et de marchandisation, où l’être
humain est confiné dans un simple rôle de consommateur,
est l’un des enjeux cruciaux pour l’avenir de l’humanité.
I. 23. Une autre mondialisation de la culture, débarrassée
du diktat de l’impératif économique, de la globalisation
libérale et financière, de la course au profit et de
la volonté d’asseoir la pensée unique sur toute
l’étendue de la planète, doit permettre
l’accès à d’autres cultures et ainsi nous
amener à enrichir ou à remettre en cause notre propre
modèle – car l’art et la culture sont tout à la
fois source d’humanité, d’expérience collective
et de liberté.
I. 24. Par-delà ses spécificités, ce
combat ne peut être dissocié de celui à mener
contre la mondialisation libérale et financière et
contre la marchandisation en cours de l’ensemble de la planète,
de toutes les activités humaines et de toutes les ressources
naturelles.
I. 25. Il ne saurait être question pour la culture
de se réfugier dans un repli identitaire. L’exception
culturelle ne peut être une fin en soi. Pour imposer une altermondialisation
culturelle, démocratique et respectueuse des diversités,
il nous faut militer pour l’émergence d’une autre économie
au service de l’être humain. Il s’agit, pour les
citoyens que nous sommes, de se réapproprier l’avenir
de notre monde.
2 / LA CULTURE COMME UN DES
OUTILS DE TRANSFORMATION SOCIALE
Un lien social délié
II.1 L’affirmation d’une conception de l’humanisme
comme réalisation de l’autonomie et de l’épanouissement
des individus dans une société fondée sur la
justice sociale et la solidarité est au centre de nos préoccupations
et de notre action.
II.2 S’il existe une propriété immanente à la
culture, c’est bien celle qui consiste à créer,
renforcer et développer le lien social ; d’où l’importance
plus que jamais cruciale de la culture au moment même où le
mouvement général de la société bouleverse
profondément la vie quotidienne des individus à travers
la disparition progressive des contacts de personne à personne
dans le voisinage, la consommation, le travail…
II.3 Le discours dominant voudrait faire croire que grâce à la
massification de l’enseignement, au développement des
industries culturelles et à la généralisation
des nouvelles technologies de l’information et de la communication
(NTIC), les aspirations, les intérêts et les besoins
des individus et des classes populaires en matière
de culture peuvent enfin être satisfaits. Malheureusement,
il n’en est rien, bien au contraire, chaque jour qui passe
voit les phénomènes de dépossession, d’aliénation
et de dépersonnalisation s’accentuer sous les effets
de la standardisation de la culture : l’actuel mouvement
de marchandisation de la création, du savoir et de la culture
visant à réorganiser le capital autour d’une économie
de l’immatériel s’inscrit en contradiction avec
le principe de libre circulation des connaissances et des œuvres.
Les NTIC peuvent être porteuses d’un réel potentiel
d’émancipation humaine et de transformation sociale à condition
de concurrencer sur leur propre terrain des monopoles qui ne sont
pas définitivement acquis. Les logiciels libres et les pratiques
coopératives – non commerciales et solidaires – s’étendent
aujourd’hui à l’ensemble des domaines de la création,
du savoir et de la culture, et offrent de nouvelles perspectives
démocratiques. C’est la raison pour laquelle il faut
veiller à la liberté et à l’égalité des
citoyens quant à l’accès aux NTIC, tout en garantissant
aux administrations, aux entreprises et aux associations, une véritable
marge d’autonomie et de choix.
II.4 L’emprise médiatique sur le quotidien de
plus en plus présente. Passer plusieurs heures par jour devant
la télévision ne peut pas ne pas avoir d’influence
sur le comportement général, les choix et le mode de
vie quotidien des individus. La politique acharnée des opérateurs
tourne exclusivement autour de l’audimat et de la captation/fidélisation
de l’audience la plus forte (qui détermine les tarifs
publicitaires). Dès lors, il s’agit de s’arroger
les segments de téléspectateurs/consommateurs les plus
larges possible, de gagner en permanence de nouvelles parts de marchés
face à ses concurrents – ce qui, naturellement, a pour effet
d’appauvrir les contenus. Dès lors, c’est le règne
sans partage d’une économie du spectacle qui se caractérise
par le spectaculaire, le sensationnel et le narcissique.
II.5 Face à cette culture uniformisée générée
par l’idéologie dominante, des courants de résistance
font entendre leur voix et s’investissent dans la recherche
d’une nouvelle légitimité culturelle. Celle-ci
repose sur deux postulats indissociables :
- la culture est l’apprentissage de la liberté individuelle
et des libertés collectives, et non l’encouragement à toute
forme de servitude intellectuelle, religieuse ou idéologique ; - la démocratie est l’apprentissage de la volonté générale,
et non la confiscation du sort des peuples et des individus par
quelque minorité que ce soit.
Un service public culturel gangrené
II.6 On ne saurait imaginer que dans le domaine de la culture – comme
du reste dans d’autres domaines: éducation, santé,
notamment – des institutions, des équipements, des associations
puissent remplir leur mission sans bénéficier de budgets
ou d’aides publiques qui, par nature, se situent hors du cadre
de la concurrence et qui, par conséquent, ne pourront jamais“ être
considérées comme compatibles avec le marché intérieur” et
altéreront forcément “les conditions des échanges
et de la concurrence dans l’Union”. Si le projet très
capitaliste de traité constitutionnel européen TCE – largement
rejeté par les citoyens le 29 mai 2005 – avait été ratifié,
aucun garde-fou n’existerait plus face à la déferlante
de la marchandisation culturelle. Les principes du libéralisme
auraient été constitutionnalisés : c’est
au nom de ces principes que les services publics sont attaqués
depuis le milieu des années 80 et que leur privatisation
a été engagée, que les systèmes de protection
social fondé sur les principes de solidarité sont remis
en cause et que les droits collectifs sont démantelés.
Toutes les luttes sociales depuis le mouvement de novembre décembre
1995 se sont opposées à cette politique.
Services publics et citoyenneté
II.7 Les services publics sont le plus souvent présentés
comme des services “ d’intérêt général ”.
Mais ce terme est pour le moins ambigu, car l’intérêt
général peut renvoyer aussi bien à une volonté générale,
qui est un concept politique, qu’à l’intérêt
de tous, qui est un concept économico-social.
Cette seconde acception signifie en fait que les individus doivent,
malgré toutes les inégalités induites par le
système économique et social, disposer d’un minimum,
gratuit “ éducation, santé, etc. ” ou à prix
régulé. Le “ service universel ” n’est
que le minimum universel qui permet de ne pas réduire une
partie de la population à la condition d’individus désocialisés.
Notre conception des services publics, et du service public culturel
en particulier, s’oppose à la conception néolibérale
qui prévaut aujourd’hui selon laquelle les services
publics ne serviraient qu’à combler les lacunes de l’économie
marchande.
II.8 Pour SUD culture, la notion de service public ne prend
véritablement sens qu’au niveau politique : la
réduction continuelle du secteur public ou son alignement
sur une gestion privée entraînent, quelles que soient
les critiques que l’on puisse lui adresser, un dépérissement
du sujet politique, dont la montée de l’abstentionnisme électoral
n’est que l’un des indices. Il est faux de dire que l’Etat “ régalien ” est
resté à peu près debout. La marchandisation
et la privatisation des “ services ”, telle
qu’elle est impulsée par l’Accord général
sur le commerce et les services (AGCS) de l’OMC, ne protège
plus le service public.
II.9 Les services publics, dans une démocratie qui
ne renie pas ses principes fondateurs (égalitaires, ou au
moins égalitaristes), n’ont pas d’abord pour finalité :
- la justice sociale, c’est-à-dire de supprimer les inégalités
; - un moyen de conserver la cohésion sociale, afin d’éviter
que les classes paupérisées ne redeviennent dangereuses
; - le lien social afin d’éviter l’atomisation complète,
source de déviance et d’anarchie ;
mais de donner consistance à la citoyenneté.
SUD culture considère que les services publics ne sont pas
destinés à être une roue de secours d’un
capitalisme débridé ou de tout autre régime à façade
démocratique. C’est toute l’équivoque du
terme “ solidarité ”, dont on connaît
les origines dans le christianisme social. Même si nous devons
reconnaître que, dans des sociétés où pullulent
les inégalités, les services publics sont amenés à jouer
un double rôle, celui du secours public aux plus faibles (insuffisant,
comme on sait, puisque les organismes charitables sont de plus en
plus nécessaires), et celui de l’aide au citoyen, comme
distinct de l’individu. Le premier ne saurait faire oublier
le second.
II.10 Dans une société où le plus grand
nombre de décisions est laissé à l’initiative
privée, le devoir de l’Etat est de favoriser cette initiative
sous sa forme publique, c’est-à-dire de l’ouvrir
au plus grand nombre d’abord parce qu’elle peut
favoriser un dynamisme économique profitable à tous,
ensuite parce qu’elle donne aux individus une prise sur le
réel, une citoyenneté “ collective ”,
une meilleure compréhension des enjeux politiques, ou mieux
encore, une formation à la démocratie sur le tas.
II.11 SUD Culture revendique la prise en charge par des services
publics des “ biens d’usage collectif ”c’est-à-dire
des biens considérés comme faisant partie du mode de
vie ou du standard de vie des citoyens, compte tenu de son niveau
de développement. Ces “ biens de civilisation ” ,
tels que l’eau, l’électricité, le téléphone,
les transports collectifs, les équipements culturels (musées,
théâtres, bibliothèques, etc.), la santé et
l’éducation doivent être accessibles à tous,
sur un pied d’égalité.
II.12 Aujourd’hui, avec le démantèlement
en cours du Ministère de la culture, on ne peut plus dire
que la légitimité de l’Etat en matière
de culture soit acquise. Bien au contraire, il s’agit bien
d’une remise en cause du rôle de l’Etat en matière
de culture et de développement culturel par rapport auxobjectifs
affichés lors de la création du Ministère des
Affaires Culturelles en 1959, à savoir : « rendre
accessibles les œuvres capitales de l’humanité,
et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français »,
c’est-à-dire un objectif de démocratisation culturelle.
Dans le secteur de l’audiovisuel public – qui se distingue
de moins en moins de l’audiovisuel privé -, la politique
culturelle de l’Etat tend à devenir non seulement une
politique totalement soumise aux impératifs financiers et
gestionnaires mais aussi un des leviers idéologiques du formatage
de la population à « la pensée unique » en
vue de rendre les « cerveaux disponibles » à la
consommation sans frein des produits des industries de loisirs.
Cependant, au delà d’un discours tout en faux-semblant,
force est de constater que les politiques culturelles sont désormais
perçues par les responsables politiques comme sans réel
enjeu et gérées au quotidien à travers le prisme
des seuls impératifs financiers et gestionnaires.
II.13 Comme pour l’ensemble du secteur public, c’est
désormais la logique d’une recherche d’une plus
grande efficacité au moindre coût qui prévaut
au sein du service public culturel et celui-ci est sacrifié –
dans sa présence sur l’ensemble du territoire, dans l’étendue
de ses missions, dans les moyens humains et financiers mis à sa
disposition – sur l’autel de l’austérité budgétaire
et du gel des emplois publics. Le budget alloué au Ministère
de la Culture ne permet plus à l’Etat de replâtrer
l’existant et de faire face aux coûts liés à ses
missions patrimoniales, au fonctionnement de ses grandes institutions
et au financement de ses principaux partenaires institutionnels.
Face à cette situation, sous couvert de diversification des
financements, trois politiques sont conduites en parallèle :
- grâce au transfert aux collectivités territoriales
d’un nombre important de sites patrimoniaux et de monuments,
L’Etat peut se défausser financièrement sur
les collectivités territoriales de missions qui, avant la
décentralisation chiraco-raffarinesque, lui incombait ; - grâce à la loi sur le mécénat
d’août 2003 – mécénat d’entreprise
présenté depuis quelques années comme une
nouvelle panacée -, l’Etat s’en remet dorénavant
aux grands mécènes pour maintenir en l’état
ou même restaurer (ex. Chantilly) une autre part du parc
des monuments et sites nationaux ; ainsi, assiste-on àl’emprise
croissante des grands groupes privés dans la vie quotidienne
des services et établissements du Ministère de la
Culture ; - la transformation en établissements publics à caractère
industriel et commercial (EPIC) d’un nombre toujours croissant
de musées (Chambord) ou d’établissements publics
(Cité de l’architecture), ce qui autorise des facilités
de gestion et, dans l’esprit des promoteurs capitalistes
de cette politique, des bénéfices financiers à terme ; - la mise en place, d’abord expérimentale, puis aujourd’hui
systématique de contrats d’objectifs et de moyens
(COM) entre les grands équipements culturels (BnF, Louvre,
etc.) et le Ministère de la Culture dans le seul souci de
rentabilisation financière.
II.14 Dans le même temps, la ligne devient de plus en
plus floue au sein du Ministère de la Culture qui peine à trouver
une cohérence à l’ensemble de ses missions, où les
budgets sectoriels
s’empilent sans la moindre dynamique transversale, où les
nominations s’opèrent au sein d’un cénacle
inamovible… Bref, un ministère qui ressemble de plus
en plus à un simple conglomérat d’établissements
où l’autorité des tutelles s’arrête à la
porte de baronnies chaque jour plus nombreuses. Le tout sur fond
de démantèlement au profit des collectivités
locales.
Une politique culturelle à réinventer
II.15 De 1959 à nos jours, l’action culturelle
(pierre angulaire de la politique d’André Malraux),
le développement culturel (au fondement de la politique de
Jacques Duhamel), la création culturelle (chère à Jack
Lang), ont constitué autant de variétés historiques
– pour ne citer que les plus marquantes d’entre elles – d’une
seule et même ambition : fonder une politique culturelle.
Depuis plusieurs années, ces politiques, déjà à bout
de souffle en 2002, sont aujourd’hui au bord de l’asphyxie.
II.16 Pire, l’aval du Ministre de la culture au protocole
d’accord sur l’assurance chômage des salariés
intermittents du cinéma, de l’audiovisuel, de la diffusion
et du spectacle signé dans la nuit du 26 au 27 juin 2003 par
le MEDEF et trois organisations syndicales minoritaires a constitué une
régression sans précédent des droits des personnes
concernées et, au-delà, a signifié à l’ensemble
du secteur culturel déjà fragilisé la soumission
de la politique culturelle de l’Etat aux diktats du patronat
et aux politiques marchandes et libérales menées par
les institutions internationales.
II. 17 Comme dans bien d’autres domaines (retraite,
protection sociale…), cette réforme – loin de s’attaquer
aux dérives et aux abus patronaux observés dans le
secteur culturel (notamment dans celui de l’audiovisuel – qu’il
soit privé ou public) – entendait faire porter l’ensemble
des sacrifices sur les seuls salariés. Ce projet s’inscrivait
pleinement dans la politique gouvernementale et patronale qui remettait
en cause tous les acquis sociaux : chaque jour, davantage de
précarisation du salariat, destruction des structures de solidarité sociale,
etc… …
II.18 En dépit des efforts de la politique culturelle
en faveur de l’offre, conjugués aux effets de l’élévation
du niveau scolaire et du développement des industries culturelles,
les ministres de la culture successifs n’ont pas su véritablement
réduire la distance qui séparait la majorité de
la population de la culture.
Ce que les responsables politiques et une presse trop complaisante
ont pris pour de la démocratisation n’était rien
d’autre qu’un résultat quantitatif reposant sur
un comptage minutieux des tickets d’entrée. L’augmentation
générale de la fréquentation observée
dans les équipements culturels était surtout due au
fait que la population française a augmenté et, ensuite,
que les éléments les plus investis dans la vie culturelle
(classes supérieures, professions libérales et fractions
des classes moyennes à fort capital universitaire) ont accru
leur rythme de fréquentation ; elle ne signifiait nullement
une diversification du public ni, en aucun cas, une démocratisation
de la culture.
II.19 Si l’on veut vraiment parler de démocratisation
culturelle, on ne peut s’en tenir à suivre cette logique
quantitative et viser la loi du plus grand nombre. Il faut au contraire
faire ce qu’on dit certains ministres et qu’ils n’ont
pas fait : "offrir la plus grande liberté de choix,
de la chance donnée à tous de choisir". Il s’agit
de prendre en compte la montée des pratiques amateurs et la
vitalité de la création.
II.20 L’écart entre le domaine artistique, soutenu
et développé par l’action culturelle au sens
large, et les pratiques du secteur socioculturel ne cesse de s’amplifier.
Or, la jonction entre une action de rayonnement national et une action
de proximité, entre une pratique de fréquentation des œuvres
et des pratiques d’expression artistiques, entre la production
artistique et une intervention sur les domaines de la vie quotidienne
et du loisir, bref entre l’art et son insertion sociale, est
une condition fondamentale d’une politique culturelle. Cette
articulation a cruellement manqué durant toutes ces années.
A cet égard, Il convient plus que jamais de réaffirmer
qu’une culture indépendante, diversifiée et ouverte
constitue un élément essentiel de la société –
tant celle-ci contribue au développement du lien social, à l’apprentissage
de la liberté, au respect des diversités…
II.21 L’importance des mutations structurelles qu’a
connues la société française au cours du dernier
quart du XXe siècle (progrès de la scolarisation, mutations
des phases du cycle de vie, précarisation de l’emploi
et renforcement de certaines formes d’exclusion sociale, diversification
des situations familiales…) laisse penser que l’hétérogénéité des
itinéraires et trajectoires sociales est aujourd’hui
plus grande que naguère. La politique culturelle à mettre
en place, si l’on veut vraiment se donner les moyens de réorienter
l’action de l’Etat en matière de démocratisation
de l’accès à la culture, doit prendre en compte
les transformations démographiques, économiques ou
sociétales dont les effets sur les rapports à l’art
et à la culture sont les plus sensibles.
En finir avec la marchandisation croissante de la culture au sein
même de l’Etat et de la politique culturelle française
II.22 En finir avec cette politique que Renaud Donnedieu de Vabres,
ministre de la culture et de la communication définissait
ainsi le 21 janvier 2005 : “ La culture n’est
pas une marchandise. Elle n’est pas gratuite non plus. Néanmoins,
les prix doivent être harmonisés et permettre une attractivité suffisante. ” ;
"Désengagements publics, marchandisation, précarisation
… Quelles perspectives pour une culture largement gangrenée
par les préceptes libéraux et qui n’a déjà plus
rien d’une exception ? Telle était la question centrale que
SUD Culture avait choisi comme thème du séminaire qu’il
organisait dans le cadre du Forum social européen de novembre
2003".
Plus que jamais cette question reste d’actualité. L’amplification
du mouvement de protestation contre la suppression de la gratuité au
musée du Louvre, le transfert de près de 200 monuments
historiques aux collectivités territoriales dans le cadre
de la décentralisation version Raffarin, le transfert de la
gestion du Château de Chantilly à la fondation de l’Aga
Khan, la décision du ministre de la culture de développer
l’accueil des tournages de films dans les monuments historiques et
les musées nationaux sont autant d’exemples parlants
de la poursuite et de la généralisation de la politique
de marchandisation de la culture au sein même du service public
culturel de l’Etat.
II.23 La politique du gouvernement actuel consiste, sous couvert
de modernisation, à adapter notre société à un
processus général de privatisation du bien commun,
comme on peut le voir dans l’éducation, la recherche
la santé et l’énergie.
Ceci a pour conséquence de renoncer à l’idée
même d’émancipation par la culture pour se tourner
uniquement vers les industries culturelles, le mécénat
privé, sur fond de désengagement de l’Etat.
Cette orientation implique à brève échéance
la fin même de la notion de service public culturel et la transformation
de pans entiers de celui-ci, tels les musées, en de simples
activités de loisirs, livrés au secteur privé….
II.24 Si donc la dérive actuelle du service public
culturel, et pour commencer celle du ministère de la culture,
n’est pas contenue et si une autre politique, prenant le contre
pied de cette marchandisation de la culture, n’est pas mise
en œuvre, nous perdrons un de nos appuis décisifs pour
le combat émancipateur que nous entendons mener contre le
monopole de la culture « Mc World ».
Au final, la politique culturelle doit répondre à un
double défi. En premier lieu, elle doit encourager la prise
de parole de chacun et participer à la construction et à l’épanouissement
de tous. En ce sens, elle ne saurait être coupée de
la formation – initiale et continue -, laquelle a pour objectif,
en s’efforçant de créer des conditions d’égalité de
compétences, de créer les conditions d’égalité d’accès à la
culture.
En second lieu, la politique culturelle participe de la construction
d’une identité collective et de la création du
lien social. L’objectif de la politique culturelle, au même
titre que la politique éducative, mais avec sa propre démarche
et ses propres moyens, est de (re)donner une raison de vivre ensemble
qui dépasse l’acquisition matérielle de biens
et l’engouement pour la bourse, un sens de la collectivité et
de l’intérêt général, des valeurs
de solidarité, de justice sociale et de fraternité.
3/ Un nouveau cycle de luttes
contre le néolibéralisme ?
III.1 Les résultats du referendum du 29 mai 2005 sur
le Traité Constitutionnel européen ont montré le
profond fossé existant entre les partis politiques traditionnels
et une grande partie du monde du travail. Ce résultat vient
de loin. Il est ancré dans les mobilisations sociales et citoyennes
de ces dernières années marquées par un refus
de plus en plus fort des politiques néolibérales dont
l’apparition à l’échelle internationale du mouvement
altermondialiste est le signe le plus tangible.
En France même, le refus réitéré de
nos concitoyens d’accepter les politiques néolibérales
s’est manifesté scrutin après scrutin et ce, quel que
soit le gouvernement en place. Après les grandes manifestations
contre la “réforme” des retraites, les mouvements
sociaux du début de l’année 2005 ont encore montré,
s’il en était besoin, la force de ce rejet. Dans cette situation,
l’autisme des principaux dirigeants politiques de ce pays, de droite
comme de gauche, n’en est que plus frappant, de même que la
constance du MEDEF dans ses projets de régressions sociales.
C’est cet autisme qui a d’abord été sanctionné le
29 mai. Ce résultat marque l’échec d’une pédagogie
de la résignation et le retour de la politique contre la communication.
Le rejet du traité constitutionnel européen par les électeurs
français a ouvert une période inédite dans la
construction européenne. La victoire du non a créé des
opportunités nouvelles. En bloquant un processus présenté comme
irréversible par ses promoteurs, elle a forcé le débat
public dans toute l’Europe sur les finalités et l’organisation
de l’Union. En définitive, le non français a aidé à créer
un espace public européen et à renforcer l’identité de
l’Union en permettant qu’une pluralité de choix sur l’avenir
de l’Europe puisse être discutée. Ce résultat
donne des responsabilités nouvelles à ceux qui défendent
l’idée d’une “autre Europe”, une Europe des droits
et de la solidarité entre les peuples.
Il faut d’abord bloquer les projets de directives porteuses de régressions
sociales (directive sur le temps de travail, directive Bolkestein,
directives de mise en concurrence et de déréglementation
des services publics, des transports, de l’énergie notamment),
que la Commission et les gouvernements ont hypocritement mis de côté pendant
la campagne référendaire française. Au-delà,
une réorientation des politiques européennes est à l’ordre
du jour. Il faut rompre avec la logique monétariste et néolibérale
actuellement à l’œuvre pour se tourner vers la lutte
contre le chômage et la précarité en favorisant
le développement des services publics et la mise en place
de critères de convergence sociaux qui permettraient d’éviter
le dumping social.
La construction européenne doit devenir l’affaire des peuples
et sortir des négociations diplomatiques entre gouvernements.
Les peuples sont les grands exclus de cette construction, il faut
qu’ils en deviennent le centre. Les mouvements sociaux, le mouvement
syndical européen, le mouvement altermondialiste, le mouvement
féministe doivent prendre ensemble l’initiative d’un vaste
débat public qui permette aux peuples d’Europe de faire entendre
leur voix. Il serait vain d’attendre de la Commission et des gouvernements
actuels qu’ils adoptent spontanément des orientations qu’ils
ont jusqu’à présent combattues avec énergie.
Rien ne se fera si ne sont pas créés les rapports de
forces nécessaires à l’échelle européenne.
La victoire du non en France est un point d’appui qui doit permettre
de développer les mobilisations sociales et citoyennes pour
imposer des orientations nouvelles. C’est à cela qu’il faut
maintenant s’attacher.
III 2 Bien sûr, ni le syndicalisme, ni la culture,
ne détiennent à eux seuls les réponses qui permettront
de construire une véritable dynamique débouchant sur
une alternative politique et sociale. Cependant, leurs rôles
sont loin d’être négligeables dans la recherche
et la construction collective d’alternatives aptes à répondre
aux besoins et attentes qui se sont exprimées dans le NON.
En effet, « L’objectif des politiques
néolibérales est d’essayer d’imposer un
nouveau modèle salarial en Europe : celui du travailleur précarisé,
flexible, polyvalent, atomisé qu’exige l’entreprise
néolibérale.
Sur un marché du travail éclaté, de nombreux
salariés se trouvent relégués à des emplois
instables et mal payés. Les inégalités sociales
se développent et le nombre de travailleurs vivant au-dessous
du seuil de pauvreté augmente ainsi dans nombre de pays européens.
Cette situation modifie les conditions de l’action syndicale.
Le type de rapport social (collectifs de travail stables, intégration
par le travail) qui, autrefois, fondait les conditions d’une
contre-culture ouvrière et assurait une base à un noyau
de travailleurs socialement actifs, est aujourd’hui remis en
cause. La précarité, l’individualisation des
carrières, la flexibilité des tâches comme l’utilisation
du dumping social, obligent le mouvement syndical à reconsidérer
sa stratégie. La réorganisation du système productif
et l’attaque directe contre le salariat, la stratégie
planétaire menée par les grandes entreprises, la nouvelle
donne européenne exigent un repositionnement du mouvement
syndical, une internationalisation de ses pratiques et une action
au niveau européen. » [Extrait de la résolution
générale du 3ème congrès de Solidaires]
Un programme gouvernemental sous influences
III.3 Cela suppose de s’opposer au programme social et économique
du gouvernement post referendum qui, tout en prétendant ne
pas avoir de “ tabous en matière de lutte contre
le chômage ”continue à reprendre à son
compte bon nombre des propositions antisociales du MEDEF, entre
autres : toujours la diminution du rôle de l’Etat
(par la décentralisation et la délocalisation, la réduction
des dépenses publiques, la diminution de la fiscalité…),
la poursuite de réforme de l’assurance maladie
(via l’exonération pour les entreprises de certaines
cotisations sociales, la rationalisation des systèmes de soins,
la mise en concurrence des « opérateurs de soins"…),
l’instauration de fonds de pension et l’allongement de
la durée des cotisations en matière de retraites, la
réforme (voir l’abrogation) des 35 H., la redéfinition
(au seul profit des employeurs bien sûr) des obligations en
matière de dialogue social, de formation, d’emploi,
notamment avec le renforcement des contrôles contre les chômeurs, à l’occasion
de la renégociation de la convention UNEDIC en novembre 2005,
et l’attaque frontale contre le droit du travail…
III.4 Malgré ses deux échecs de 2004 aux régionales
et aux européennes, malgré la victoire du non au referendum
du 29 mai 2005, les différentes mesures prises par la droite
montrent à l’évidence que la politique que celle-ci
entend continuer à mettre en œuvre est clairement au
service du patronat et des couches les plus riches de la population.
Cette politique néfaste, poursuivie au pas de charge par le
gouvernement Raffarin entre mai 2002 et mai 2005, a eu comme conséquence
une régression sociale comme rarement notre pays en a connu
– que ce soit en matière de services publics, de retraites,
de santé, de conditions de travail… sans compter la
réforme Fillon sur l’Ecole, l’accord scélérat
du 27 juin 2003 sur les annexes 8 et 10 de la convention de l’UNEDIC
visant les intermittents du spectacle, etc.
Dès le début de l’été 2005, le
gouvernement de Villepin a présenté au Comité Supérieur
de l’Emploi ses quatre projets d’ordonnances pour avis.
Le premier projet portant sur le Contrat Nouvelle Embauche (CNE)
institue, de fait, un CDD de deux ans avec possibilité de
licenciement express. Cette mesure peut paraître habillée
de garantie sociale, c’est un recul fort pour le droit des
salariés et le droit du travail. Alors même que le seuil
d’application est annoncé maintenant à 20 salariés,
le Medef satisfait demande son extension à toutes les entreprises.
Le Fonds Monétaire International (FMI), instance garante des
théories et pratiques libérales les plus extrêmes,
a aussi félicité la France pour ce projet.
Le CNE va fournir une main d’œuvre encore plus flexible
et adaptable. C’est un traitement du chômage doux pour
le Medef, amer pour les salariés.
On voit ainsi comment le Président de la République
et le Premier Ministre prennent en compte l’expression
des électeurs du 29 mai : sous couvert de priorité pour
l’emploi, ils accélèrent la politique libérale.
Les autres projets soumis à ordonnance et présentés représentent
des reculs sociaux importants pour les salariés et de nouveaux
cadeaux aux entreprises : relèvements des seuils de prélèvements
obligatoires,décompte des effectifs des salariés de
moins de 26 ans, chèque emplois entreprises. Il n’aura
pas fallu cent jours à Villepin pour appliquer sa stratégie
offensive contre le droit du travail – et notamment du code
du travail pour les salariés du privé et pour les statuts
des trois fonctions publiques – et contre les chômeurs.
III.5 Dans le même temps, pour mieux faire oublier
les problèmes d’insécurité sociale générés
par sa politique et masquer les causes premières de ceux-ci,
et donc sa responsabilité, le gouvernement continue
de multiplier, en les médiatisant au maximum, le recours aux
pratiques sécuritaires et la mise en place d’appareils
répressifs. C’est la jeunesse issue des couches sociales
les plus défavorisées et de l’immigration qui
se retrouve ainsi violemment stigmatisée. Par la mise en œuvre
de cette politique, et malgré la présence dans le gouvernement
de Villepin d’un ministre délégué – issu
de l’immigration – chargé de “ la promotion
des chances ”, le gouvernement refuse de reconnaître
qu’il existe une origine sociale à la délinquance… et
donc de traiter les causes de celle-ci. Il y a peu de chances
pour que ce gouvernement s’oriente véritablement vers
une politique de prévention, d’accompagnement social
et d’action éducative et culturelle dans leurs différentes
composantes, seuls véritables moyens d’enrayer le phénomène
de délinquance juvénile.
III.6 Cette politique néfaste, malgré les signaux
forts lancés par les citoyens à l’occasion des
trois scrutins de 2004 et 2005, s’inscrit dans une cadre général
visant à mettre au pas les populations les plus précarisées,
criminalise l’action syndicale et l’ensemble des mouvements
sociaux. Les discriminations observées dans l’application
de la loi à l’encontre des plus combatifs d’entre
eux, contribuent à réduire la liberté d’expression
populaire, fondement essentiel de la démocratie.
III.7 En matière d’immigration, la politique
du nouveau gouvernement de Villepin et de son ministre de l’Intérieur,
Sarkozy, s’est voulue, dès sa mise en place, de plus
en plus restrictive et répressive. Elle s’accompagne
d’undurcissement des pratiques administratives et policières
qui génère une multiplication des situations dramatiques
avec des conséquences humaines inacceptables et dangereuses,
non seulement pour les intéressés mais pour la démocratie
dans son ensemble : mineurs isolés renvoyés dans les
pays d’origine, enfants en bas âge arrêtés
jusque dans leur classe, suspicion généralisée
sur les mariages, refus d’examen des preuves réelles
de travail dans les dossiers de régularisation, malades expulsés
malgré des traitements en cours, persistance de la double
peine, conditions déplorables dans les zones d’attente
et les centres de rétention…
Comme si cela ne suffisait pas, de nouveaux durcissements sont
annoncés au niveau français et européen : volonté de
faire à tout prix du « chiffre » et
d’afficher une augmentation de 50% en 2005 du nombre des éloignements
d’étrangers en situation irrégulière en
France par rapport à 2004 ; instauration d’une
politique des quotas qui ne veut pas dire son nom ; accélération
de la mise en œuvre de la biométrie pour l’enregistrement
des demandes de visa ; remise en cause du regroupement familial ;
mise en œuvre de charters communs à différents
pays européens (Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni)
pour organiser, à grande échelle et à moindre
frais, l’expulsion d’étrangers déboutés
de l’asile et/ou en situation irrégulière; « externalisation » des
demandes d’asile par la création de camps aux frontières
de l’Europe…
III.8 Que ce soit en matière de lutte contre l’insécurité ou
en matière de politique d’immigration, le gouvernement, bien
décidé à capter une partie de l’électorat
de l’extrême droite, n’hésite pas à reprendre
certains discours de celle-ci et à mettre en œuvre une
partie de son programme. Cette stratégie populiste, exacerbée
par l’obsession de N. Sarkozy pour les Présidentielles de
2007, ne fait que favoriser le développement des « valeurs » de
haine et d’exclusion véhiculées par l’extrême
droite. A l’heure même où le Front national essaye
d’avancer masqué derrière une façade supposée
plus respectable et plus crédible, la lutte contre ses idées
constitue une priorité syndicale. Plus que jamais, nous devons
poursuivre notre travail d’explication et notre combat afin
que l’extrême droite ne puisse plus apparaître
comme un recours possible pour une partie du monde du travail – alors
même que le projet politique que celle-ci propose est suicidaire
pour celui-ci et l’ensemble de la société.
Dans un tel contexte, SUD Culture, réaffirme la nécessité d’un
engagement fort dans les initiatives et les luttes visant à faire
aboutir les différentes revendications dont notre organisation
syndicale est porteuse dans les domaines concernés.
1 – Organisation
des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture.